samedi, octobre 15, 2005

Dunhuang - Lanzhou - Xiahe - Langmusi - Jiuzhaigou - Huanglong - Songpan - Chengdu - Leshan - Emei Shan

Tcho demo!

Suite a un long voyage depuis Dunhuang, nous avons rejoint les terres de l'Amdo, dans l'Ancien Tibet: du sud du Gansu au nord du Sichuan, nous avons vecu parmi les Tibetains, les nomades Goloks et les moines lamaistes... et appris les rudiments d'une nouvelle langue, une de plus! En descendant progressivement plein sud, nous avons ensuite flane dans les parcs de Chengdu, joue aux liliputiens aux pieds du Bouddha de Leshan, et gravi la montagne sacree de l'Emei Shan.

Cache-cache chez les Gelukpa:
Nous sommes immediatement tombes sous le charme de Xiahe, petite ville perchee a 3000 metres, dont toute l'activite tourne autour du Labuleng Si, le second plus important monastere de la secte des Bonnets jaunes (Gelukpa), apres celui de Lhassa. Les quelques temples et les nombreuses habitations de moines forment un dedale de ruelles ou nous nous perdons a loisir des heures durant.
Un matin, nous sommes accostes par quatre Hans de l'est de la Chine, en pelerinage ici. Comme beaucoup d'entre eux, ils nous demandent d'etre pris en photo a leurs cotes, ce que nous acceptons gaiement. Apres cette seance de pose (la routine, quoi!), ils nous surprennent en nous offrant ceremonieusement de precieuses echarpes de soie blanche, qu'ils nous passent autour du cou. Nous sommes fortement honores par ce geste, sachant que l'echarpe blanche est le plus beau cadeau que l'on puisse faire dans la tradition lamaiste. D'ailleurs, les statues des Bouddhas en sont generalement couvertes. C'est aussi le present offert aux jeunes maries tibetains en signe de benediction, comme nous en avons ete temoins plus tard, a Songpan.
Un peu avant onze heures, les puissants cors tibetains resonnent dans la vallee, de ce son monocorde et grave qui leur est si particulier. Bientot, les moines, ainsi appeles a la priere, accourent de toutes parts, en chantant a voix haute et claire, drapes dans leurs tuniques rouges et coiffes de leurs grands bonnets jaunes. Entretemps, un vieux pelerin Golok, qui, depuis la scene de l'echarpe, nous observait en marmonnant ses prieres, nous fait signe de le suivre. C'est ainsi que nous penetrons dans la cour interieure du temple, ou nous nous arretons net, fascines par le spectacle de centaines de moines qui, assis sur les marches menant au hall de priere, chantent a fortes voix, se balancant d'avant en arriere. Tout a coup, sur un son de trompe plus fort et plus grave, ils se levent comme un seul homme et s'engouffrent dans la penombre du temple.
A l'interieur de ce grand hall faiblement eclaire, les moines sont assis sur de longues rangees de coussins et psalmodient de concert, sans discontinuer. Des tambours et des cloches accompagnent ces voix basses d'un rythme soutenu, entrainant, presque hypnotique. Une forte odeur d'encens nous emplit les narines. Partout, se dressent des colonnes richement decorees, alors que de longs cylindres de tissus brodes, pendent du plafond. L'atmosphere en est d'autant plus mysterieuse, intimiste, que ces parures rendent impossible la saisie immediate du lieu. Tout etourdis, nous nous asseyons quelques instants sur les marches du temple, pour digerer nos impressions: nous en avons eu plein les sens!
Petit a petit, les moines sortent du hall de priere et l'un d'eux, nomme Lorbsang, nous interpelle, curieux de nous rencontrer et ravi de pratiquer un peu d'anglais. Les autres s'installent non loin de nous, heureux de se rechauffer dans un rayon de soleil. Soudain, Lorbsang nous quitte precipitamment pour aller se cacher derriere une colonne de la cour. Etonnes, nous nous retournons et apercevons a l'entree du hall un Bonnet jaune particulierement imposant, avec des epaules a la Darth Vador qui, tel un vautour, balaie la cour du temple de son regard severe et percant. A sa vue, les moines effrayes se sont disperses comme une volee de moineaux. Apparemment, ils sont censes circuler, mais certains preferent rester, comme Lorbsang, qui revient vers nous le sourire aux levres et le coeur battant. Ce petit manege se reproduit a plusieurs reprises pour notre plus grand plaisir...
De fil en aiguille, nous sympatisons avec Lorbsang, qui nous invite dans sa cellule. Spartiate, mais chaleureuse, tapissee de panneaux de bois, on y trouve un poele, une paillasse, des sutras (textes de prieres) et une photo du Panchen Lama. Enthousiaste, curieux de tout, il nous apprend nos premiers mots de tibetain, alors que nous l'aidons dans son apprentissage de l'anglais. Il semble fascine par nos photos de famille, qu'il contemple longuement, en souriant. Depuis lors, a chaque fois que nous saluons un moine dans sa langue ( Tcho demo!), son visage etonne s'eclaire et il nous repond d'un ton enjoue.
Au cours de notre sejour a Xiahe, nous revenons a maintes reprises vers le monastere, dont nous apprecions la paisible ambiance et les corneilles tibetaines dans le soleil de l'apres-midi. Ca et la, des pelerins Goloks tournent autour des temples et des stupas en murmurant leurs prieres ou en egrenant de longs chapelets. Le long des murs sacres, les tetes s'abaissent en signe de veneration et les mains font tourner les centaines de moulins a prieres peints de couleurs vives, qui entourent le monastere.

Stupa dans la brume:
Ayant eu vent de la legendaire beaute des prairies de Takkar (dans les environs de Xiahe), nous decidons de partir avec notre tente a la decouverte de cette region. Malheureusement, le bus qui dessert le village le plus proche fait defaut ce jour-la. Pas de probleme, les locaux ont deja trouve la solution: ils s'entassent dans un camion-remorque, avec marchandises, sacs de farine, provisions, meubles, etc. Nous sommes bientot coinces comme du betail, serres comme des poulets, mais ravis de pouvoir nous rapprocher un peu plus de cette magnifique population. Nous admirons la beaute de leurs traits, aux larges pommettes, aux nez droits et aux sourires francs. Les femmes portent de lourdes boucles d'oreilles, ainsi que de nombreux colliers de corail et de turquoise, et tressent leurs longs cheveux noir de geai. Elles portent aussi des bonnets de couleurs vives ou des chapeaux en feutre. Beaucoup de couleurs, a la maniere des Andins, et toujours ces epais manteaux, aux tres longues manches. Nous sommes finalement prets a partir, lorsque la police arrive et, jugeant notre equipage trop precaire (a juste titre!), fait venir un bus de la gare voisine. La longue phase de chargement reprend donc et, une fois le bus plein a craquer, nous pouvons enfin demarrer.
De village en village, le bus progresse dans une vaste vallee, se rapprochant peu a peu du massif de Takkar: de hautes falaises granitiques, sombres et menacantes. Nous ne savons pas exactement ce qui nous attend la-bas. Ces histoires de transport nous ont pris beaucoup de temps et la journee touche presque a sa fin. Le bus s'arrete enfin dans un petit village, celui de Takkar, dont les epais murs de terre temoignent d'un passe glorieux. Nous le traversons a pied, sous le regard incredule des habitants, et nous nous engageons dans les prairies tibetaines a la recherche d'un endroit propice pour camper. Nous marchons dans un paysage de vertes collines et de hautes falaises perdues dans la brume. Il nous reste environ une heure avant le coucher du soleil.
Excitante et inquietante impression de marcher vers l'inconnu... Soudain, au detour d'une colline, nous apercevons une stupa et son monastere adosses a la falaise. Nous redoublons d'ardeur, afin de profiter des dernieres lueurs du crepuscule. La-bas, une petite lumiere brille dans le lointain.
Arrives aux portes du monastere, nous hesitons: ou et a qui demander la permission de camper dans cet endroit? Avant que nous ayons decide de la marche a suivre, un moine apparait et nous fait immediatement signe de le suivre, alors que la penombre l'empeche de nous voir distinctement. Nous grimpons le flanc de la colline a sa suite, jusqu'a une petite habitation a cote du temple. Il nous signifie de rentrer et, sans attendre, d'un geste, nous fait comprendre que nous pourrons passer la nuit chez lui. Nous le saluons avec reconnaissance et, pour le remercier, lui offrons l'echarpe blanche recue la veille, ce qu'il semble apprecier vivement. Nous nous asseyons par terre. Sa chambre ressemble en tous points a celle de Lorbsang: panneaux de bois, couche surelevee, portraits du Dalai Lama et du Panchen Lama, ainsi qu'un poele en fonte (alimente au moyen de crottes de moutons), orne de symboles tibetains. Au vu de la temperature exterieure, nous nous felicitons a l'idee de dormir pres d'un poele!
Nous faisons connaissance, avec le peu de chinois que nous possedons. Il s'appelle San Chi et a vingt-quatre ans. Bientot, sa mere entre a son tour. Elle a l'air extremement vieille, avec sa peau tannee et son visage tout ride, sans dents, mais elle n'a, en realite, que septante ans. Comme les Goloks, elle porte les deux tresses nouees et le grand manteau autour des hanches. Deux jeunes moines entrent enfin: ils ne sont pas de la famille, mais - nous le comprenons au fil de la soiree - , sont attaches au service de San Chi. Ils nous preparent une soupe tibetaine, avec de petits morceaux de pates, apres avoir refuse categoriquement notre pain.
San Chi nous fait comprendre a force de gesticulations qu'il nous quittera vers 22 heures pour aller prier dans la montagne et ne reviendra qu'a 3 heures du matin pour dormir un peu, avant de repartir prier de 6 heures a 8 heures. Quel sacerdoce! Nous nous endormons paisiblement autour du poele, en pensant aux moines dans la nuit froide.
Le lendemain, nous partageons une rapide collation de the et de pain, avant de leur offrir quelques mooncakes (cakes chinois aux fruits secs), qu'ils acceptent enfin. Nous prenons finalement conge de nos hotes si accueillants. Nous aimerions rendre grace et passer par le temple, mais celui-ci est ferme. Nous decidons alors de faire plusieurs fois le tour de la stupa, a la maniere des Tibetains, afin de remercier pour ce voyage fabuleux et pour souhaiter a chaque membre de nos familles ce dont il a besoin.
Dans la bruine matinale, nous disons au revoir au monastere de Takkar, avant de reprendre notre chemin, reveurs.

Pour quelques marches de plus...
Au sud de Chengdu, nous entreprenons l'ascension de l'Emei Shan, montagne sacree bouddhique du Sichuan, parsemee de monasteres et de temples . Nous estimons qu'il nous faudra trois jours et environs 40 000 marches pour atteindre ce sommet de 3099 metres et en redescendre.
Une fois passees les zones touristiques, nous voici bientot seuls face a ces milliers de marches qui s'enfoncent a n'en plus finir dans une vegetation de lianes et de bambous. Une epaisse brume enveloppe l'escalier, qui se perd dans un horizon flou, incertain. Le silence, le calme, sont d'autant plus impressionnants que nous redoutons l'apparition soudaine des singes. En effet, a l'auberge d'Emei, nous avons ete plusieurs fois mis en garde contre leur agressivite, surtout envers ceux qui transportent de la nourriture.
Le premier midi, nous nous installons donc pres d'un groupe de porteurs, afin de dejeuner en toute quietude. Nous savourons notre pic-nic a notre aise, lorsque Chris, de son bel appetit, mord a pleines dents dans son sandwich et creve une poche de jaune d'oeuf coulant. Damned! Le liquide poisseux degouline inexorablement sur son pantalon. En moins de temps qu'il ne faut pour l'ecrire, le voila completement englue et, bien plus grave, sentant l'oeuf a des kilometres a la ronde. Craignant d'attirer les singes, Chris realise alors que son sort ne tient plus qu'a une prompte lessive "au coeur du linge"... sans machine! Defi releve, le label de qualite A+++ est atteint et approuve par les singes rencontres plus tard, qui ne le prennent heureusement pas pour une omelette.
Apres une premiere nuit dans un monastere et une ascension reellemment eprouvante, nous atteignons le sommet, au beau milieu des nuages. Le chemin du retour necessite encore un jour et demi de marche(s) et nous nous arretons la seconde nuit dans un autre monastere, plus petit, perche comme un nid d'aigle sur un piton rocheux. Un seul moine, presque aveugle, y habite, entoure de minuscules chatons. Il passe son temps a chasser les singes qui prennent regulierement la place d'assaut. De hautes montagnes, partiellement embrumees, nous entourent. Un oiseau siffle. Il n'y a personne ici. Cet endroit semble oublie du monde.
Au repas, deux autres hotes font leur apparition et nous invitent a leur table. Bientot, le moine se joint a nous. Les deux premiers travaillent sur la montagne pendant trois mois afin d'y installer le telephone. Ils engloutissent chacun une petite bouteille d'alcool de riz (baijiu), alors que le moine en est a son quatrieme godet d'une mixture maison a 62 degres. Bientot, nous trinquons (Ganbai!) entre chaque bouchee de riz et nous sommes heureux d'etre a la biere. Grace au dictionnaire et a l'anglais sommaire de l'un d'eux, nous parvenons a tenir un semblant de conversation. Tout le monde est ravi. En fin de repas, Chris propose au plus loquace des trois de jouer une partie d'echecs chinois. Nous voila engages dans tous les pieges et les subtilites de ce jeu machiavelique. Nous sommes tombes sur un veritable pro', dont les facultes semblent decuplees par l'alcool... Les trois parties nous sont fatales, mais nous passons une excellente soiree!

Quelques breves:
- Les enterrements celestes:
Saviez-vous que les Tibetains offrent leurs defunts en pature aux vautours, consideres comme des animaux sacres, pour poursuivre le cycle de la vie? Ces ceremonies sont bien entendu interdites aux touristes, mais, dans la region de Langmusi, nous avons vu tournoyer quantite de vautours, semblant meme reagir a la presence des moines.
- Tir au chapelet:
Lors d'une promenade a Langmusi, nous avisons trois jeunes moines en train de lancer des cailloux dans les arbres. Notre curiosite est piquee au vif. Mais que font-ils? Nous levons les yeux: le chapelet de l'un d'eux est coince, pendu a une haute branche de sapin. Nous nous joignons a eux pour les aider a le recuperer, dans un ballet de cailloux volants. Apres moultes tentatives, le voici qui tombe comme un fruit trop mur. Ravi, le fautif ramasse son butin, avant de s'ecarter avec ses deux comparses. Tous trois s'arretent pourtant au bout de quelques pas, font demi-tour apres un petit conciliabule, pour offrir le chapelet en question a Chris, qui avait redouble d'ardeur au lancer du caillou. Celui-ci refuse gentillement, touche par ce geste d'amitie. Nous nous eloignons en riant sous cape, en imaginant comment ce chapelet s'est accroche dans un arbre, a plus de trois metres du sol... Decidement ces petits moines sont trop sympas.
- Pour une fois, les ecrits s'envolent...
Lors d'un trajet en bus entre Langmusi et Zoige, nous frolons des a-pics terrifiants, d'autant plus qu'ils sont noyes dans la brume et que l'on n'en voit pas toujours le fond. Au moment meme ou nous franchissons le col, Marianne constate du coin de l'oeil que l'un des passagers a ouvert une fenetre et lance dans le vide de petits bouts de papiers ou sont inscrites des prieres tibetaines. L'image de ces papiers blancs se dispersant dans le brouillard est tres belle, presque feerique, mais franchement pas rassurante!
- Avoir l'air ou ne pas avoir l'air...
Lors de notre visite du parc naturel de Huanglong, nous restons pantois face a ces dizaines de Chinois qui ont recours a des masques a oxygene des qu'ils depassent une altitude de 3000 metres!
- La douce nonchalance de Chengdu:
Dans cette ville s'etendent de nombreux parcs des plus agreables, avec des maisons de the en plein air, ou les habitants se retrouvent pour passer l'apres-midi, jouer aux cartes, aux echecs ou aux dominos, en grignotant des graines de tournesol. On y trouve souvent un "jardin dans le jardin", petit enclos calme et serein, avec bonzais, pierrailles et petits bassins peuples de poissons rouges. La vegetation a change: voici des bananiers, des orangers et des hibiscus a profusion, ainsi que des bambous, parfois enormes. Il y a a Chengdu une sorte de nonchalance qui nous seduit beaucoup.

Nous avons tellement apprecie l'univers tibetain que nous sommes impatients de le retrouver sur la route du Tibet, qui nous permettra d'entrer au Yunnan par "la petite porte", en passant par des villages et des cols a plus de 4000 metres.

Demo chi a toutes et a tous, portez-vous bien!

Marianne et Chris