dimanche, décembre 31, 2006

Cartes du voyage


Carte générale

Carte détaillée

mercredi, avril 05, 2006

Tramping in New Zealand

Kia Ora !

Au bout de sept mois de nomadisme en Asie, nous nous offrons un saut de puce vers la Nouvelle-Zélande, pour nous retrouver littéralement à l’autre bout du monde. En guise de cerise sur le gâteau, la Nouvelle-Zélande ne cadre pas a priori avec le reste de nos aventures. Cependant, elle nous permet d’entamer une transition progressive vers le monde occidental, tout en continuant à voyager, à poursuivre notre bout de chemin. C’est aussi l’occasion de rester proches de la nature et de ses merveilles.
Lors de notre arrivée à Auckland, nous devons faire face à un choc culturel (et financier): nous voici (à nouveau) anonymes, dans un univers où chacun court après le temps et ses occupations. Les rues sont vides, propres et dégagées, peu de gens s’arrêtent pour humer l’air sur le pas de leur porte ou tailler une bavette avec leur voisin. Un monde connu, dont nous avions pourtant perdu les habitudes. Il nous faut recalibrer et renouer avec toutes les caractéristiques des pays modernes, dont certaines ne sont pas pour nous déplaire: la liberté d’action et d’horaire qu’offre une voiture, l’écoute d’un bon CD, les supermarchés ou une hygiène confortable. Et heureusement, le camping nous permet de jouer encore un peu les Robinsons et de prolonger le contact avec la nature, ce que nous apprécions tellement durant ce voyage.
Nous partons à la découverte de ces stupéfiantes îles néo-zélandaises, qui s’avèrent à la fois étranges et familières. En effet, nous y reconnaissons des paysages qui pourraient figurer en Ecosse, telles les vertes collines parsemées de moutons, en Norvège, comme les profonds Fjords de l’île du sud, en Islande lorsque nous admirons geysers et volcans, dans les Alpes françaises au moment de grimper sur les glaciers ou encore en Californie ou en Afrique du sud le long des côtes déchiquetées par l’Océan. Pourtant, malgré cet air de “déjà-vu”, la Nouvelle-Zélande est manifestement différente, inconnue, avec une végétation pour nous totalement mystérieuse, où les fougères atteignent la taille des arbres, un peu comme dans nos représentations de l’époque du Crétacé, au temps des dinosaures . La faune, elle aussi, nous surprend. Les oiseaux, surtout, sont omniprésents: absolument pas farouches, ils se perchent sur les branches qui frôlent nos visages ou nous suivent le long des chemins forestiers. Ils portent des noms inouïs (d’origine maorie, tout comme “Weka, Kea, Kiwi, Pukeko”...), et produisent des sons fascinants. Nous profitons aussi de notre présence en Nouvelle-Zélande pour observer des animaux d’un autre calibre, comme les lions de mers, qui paressent sur les plages désertes; les très rares dauphins Hector jouant dans les vagues de Curio Bay; les “yellow-eyed penguins” et les “crested penguins”, qui sortent de l’eau en se dandinant pour nourrir leurs petits au crépuscule; ainsi que, last but not least, les merveilleux albatros d’Otago, planant de leur trois mètres d’envergure, royaux.
Paradis naturel, la Nouvelle-Zélande est aussi l’Eden du trekker, ou du “tramper”, comme on l’appelle ici... Pas étonnant, dès lors, que nos bottines nous démangent et que nous nous en donnions à coeur joie!!
Voici donc, en vrac, quelques anecdotes choisies tout à fait au hasard, bien sûr...

28 ans au pays de Morrrdorr...

La veille du 20 janvier, nous plantons la tente à la limite du parc national du Tongariro, dans un petit coin tranquille où l’herbe est verte et tendre. Avant de s’endormir, Marianne fait un noeud dans son mouchoir et se lobotomise une dernière fois pour ne pas oublier l’anniversaire de Chris le lendemain... Ouf! Sa première pensée au réveil est pour son bien-aimé et voici qu’elle entonne, de sa plus belle voix de reinette ensommeillée, un touchant “happy birthday”, non pas a capella, mais a tenta. Voici Chris irrémédiablement réveillé, les cheveux dressés sur la tête, et prêt à entamer une journée taillée sur mesure: pleine de défis!
Au programme, une randonnée dans le parc national du Tongariro – où fut filmé le Mordor du “Lord of the Rings” –, une petite merveille d’activité volcanique, où l’on peut à loisir crapahuter sur de tortueuses coulées de lave noire, escalader de vieux cailloux rétifs, longer les crêtes d’énormes cratères, gueules béantes, inhaler les fumerolles blanches et admirer les lacs vert émeraude, bordés de soufre. Après deux heures de marche, se présente le premier challenge: une petite ascension du mont Ngauruhoe – ou Mt Doom, pour les fans de l’Anneau – , qui se présente comme un volcan parfait: conique, tout noir, aux flancs redoutablement escarpés... Chris se frotte les mains, pendant que Marianne évalue ses maigres chances d’arriver en haut. S’en suivent deux heures d’escalade, des pieds et des mains dans les sables fuyants, à s’agripper à la crête rocheuse indiquant la voie à suivre au travers du nuage glacial qui, tout à coup, nous enveloppe à mi-chemin. Les doigts déchiquetés par la roche, frigorifiés jusqu’à l’insensibilité, les nerfs mis à vif par les éboulis provoqués par les autres grimpeurs, nos deux aventuriers arriveront-ils au sommet? L’épreuve est à la mesure de notre fierté, quelque peu incrédule, lorsque, complètement moulus, nous plongeons enfin nos regards dans l’impressionnant cratère, qui se dévoile un instant entre deux nuages de brume. Deuxième gageure: descendre! Et ne surtout pas regarder vers le bas. Nous voici partis tout shuss, glissant dans les poussières volcaniques comme des skieurs alpins, nous retenant aux rochers de temps à autre... Séquence: concentration! Une fois en bas, les jambes flageolantes, nous contemplons notre exploit sans pouvoir y croire, ce volcan qui nous semble toujours aussi imprenable, invincible.
Il est à peine midi et le Tongariro a encore beaucoup de tribulations à offrir. Nous reprenons donc notre chemin, pour arpenter cet étonnant paysage. Le “Red Crater” nous ensorcelle par sa couleur ferrugineuse et ses fumerolles qui jaillissent sous nos pieds, lui donnant des airs de porte de l’Enfer. L’endroit est aride, rare, dantesque. En contrebas, s’étendent les “Emerald Lakes”, tels trois larmes d’émeraudes aux pieds du cratère rouge géhenne.
Bientôt, les paysages lunaires cèdent la place aux longues herbes jaunes et folles qui poussent sur les flancs d’anciens volcans. De là-haut, une vue époustouflante expose montagnes, lacs et forêts. Peu à peu, il faut rejoindre la vallée et le sentier plonge dans une épaisse futaie aux essences inconnues, habitée par des milliers d’oiseaux invisibles, dont les chants charment nos oreilles.
La journée fut longue et nos gambettes, heureuses, crient grâce. Il est temps de fêter Chris dans les formes gastronomiques et de dénicher cet Italien qui mitonne un terrible « Cervo al porto », accompagné d’un excellent petit vin néo-zélandais...

Premiers de cordée

Aujourd’hui est un grand jour: nous avons rendez-vous avec le “Fox Glacier”! Excités comme des puces, nous nous levons bien avant l’heure pour nous rendre au QG des guides alpins, où nous sommes d’abord priés d’enfiler d’épais godillots de cuir rongés par la glace. Ainsi parés, pantalons dans les chaussettes, un collier de crampons autour du cou, nous avons déjà fière allure! Après un briefing de sécurité dans le bus, nous débarquons aux pieds du glacier qui, monstrueux, souverain, nous domine d’emblée. Pour atteindre ses contreforts, il nous faut d’abord traverser l’épaisse “rain forest”qui l’entoure. Arrivés au bord du glacier, nous chaussons enfin nos crampons pour avancer quelques pas et nous familiariser avec cette technique de marche un peu particulière. Mieux vaut la maîtriser, car nos crampons sont nos meilleurs amis et notre seule sécurité, une fois sur le dos de ce géant de glace. L’aventure commence: notre guide, Nathalie, dégage une voie et creuse quelques marches sommaires à grands coups de piolet, qu’elle mouline avec une aisance qui nous laisse tous bouche bée. La glace vole en miette et nous nous frayons progressivement un chemin. Les marches creusées par Nathalie s’avèrent plus qu’utiles, car le Fox ressemble à une mer en furie, dont les hautes vagues auraient été figées en plein mouvement. Comment une masse si lourde, si compacte et si lente, peut-elle produire de telles formes, des pics et des crevasses si chaotiques, si tumultueux, au point qu’elle semble en proie à de puissantes convulsions. La puissance et la violence immobiles: voici le redoutable Fox Glacier. Au fur et à mesure que nous remontons la coulée de glace et que nous quittons les traces de terre laissées par les éboulements des falaises environnantes, une faible lueur bleutée pointe sous la glace. Dans certaines anfractuosités, cette transparence turquoise se fait de plus en plus vive, plus dense, pour qu’apparaisse sous nos yeux le fameux “bleu glacier”, superbe de froideur et de pureté. Au bout de plusieurs heures de progression, nous atteignons une zone tellement lacérée qu’il est impossible d’aller plus loin. Même les professionnels ne s’y risquent pas: il s’agit de chutes de glace provoquées par un accident du terrain. L’ensemble évoque une vaste forêt de stèles fichées à la verticale, cahin-caha, rayonnant de toute leur transparence bleutée... Magnifique.

Les brèves:

Un brin de conduite
Le long des routes néo-zélandaises, les conducteurs et leurs passagers peuvent lire, inscrit en blanc sur de grands panneaux noirs: “if you’re prepared to speed, be prepared to kill”. Difficile d’être plus clair!

Happy Camper!
Nous ne tardons pas à comprendre que le charme de la végétation néo-zélandaise a un prix: la pluie! Les joyeux campeurs que nous sommes l’apprennent à leurs dépends lorsque, au cours d’un trek dans le parc national d’Abel Tasman, ils marchent deux jours durant sous une averse torrentielle. Cette nuit-là, c’est donc trempés jusqu’aux os que nous montons notre petite tente légère et que, après un festin de boîtes de thon et de fruits secs, nous nous inquiétons de voir que la pluie n’en finit plus de tomber, que de larges flaques se forment un peu partout et que le sol sablonneux commence vraiment à saturer. Au vu de cette menaçante montée des eaux, nous entreprenons de creuser des tranchées autour de la tente, que nous munissons aussi de petits remparts de boue et de sable, dans un fol espoir de dormir au sec. Bientôt blottis dans nos sacs de couchage humides, tétanisés à l’idée de toucher la tente dans notre sommeil – ce qui la rendrait immédiatement perméable –, nous passons la nuit à écouter les gouttes tambouriner sur la toile de notre faible abri ou à rêver d’inondations. Au petit matin, nous n’osons croire à notre chance: la tente a tenu! Sous un léger crachin, nous sortons pour enfiler nos ponchos trempés, qui collent sur nos bras nus et nous étouffent comme de grosses méduses vertes... Il est temps de chanter : “Quoi qu’il arrive, je gar-de le souri-ireuh...”

Avec ou sans filet? Avec!
Un soir, attirés par la possibilité d’observer quelques pingouins s’en retournant au nid après une longue journée de pêche, nous débarquons à Jackson Bay, un patelin perdu au bout d’un cul-de-sac, où nous attendent quelques baraquements de tôle, une jetée dans la mer et des nuées de “sandflies”, ces mouchettes plus voraces que des moustiques et dont la piqûre est presque aussi douloureuse que celles des taons! Nous nous réfugions donc en vitesse dans le petit bois qui mène à la plage où nichent les pingouins... malheureusement les sandflies nous accueillent là aussi avec la même ardeur: impossible de rester là plus de cinq minutes! Nous battons en retraite, mais ce n’est que pour mieux revenir: cette fois dotés de manches longues, nous enfilons des chaussettes en guise de gants et les filets de protection anti-moustique pour la tête (finalement, ils auront servi à quelque chose!). Vêtus comme des apprentis apiculteurs, nous voici parés! De retour sur la plage, nous narguons les sandflies avec un plaisir non dissimulé et notre persévérance ne tarde pas à être récompensée: deux pingouins (“crested”) font leur apparition. Patauds, un peu bossus, ronds comme de petits tonneaux, ils se dandinent autour de leur nid. Nous sommes émerveillés. Bientôt, ils disparaissent dans les buissons et nous repartons en gardant leur petite silhouette attachante en mémoire.

Vies de marins
Un soir, à Colac Bay, nous entrons dans un pub où de solides marins néo-zélandais prennent un verre avant de rentrer chez eux. Les murs sont couverts de photos de bateaux, la plupart franchissant de très hautes vagues non loin de la côte. À y regarder de plus près, certains cadres contiennent plusieurs clichés qui, vus dans un certain ordre, montrent le naufrage de bateaux retournés par les puissants rouleaux. Le patron du pub nous raconte alors l’histoire de ses amis ainsi noyés sous ses yeux. Tout un équipage.

Plein sud et au-delà
Slope Point est le point le plus au sud de l’île du sud. Soit l’extrême sud de notre périple. Étrange sensation, solennelle et émouvante, d’une forme d’aboutissement. Pour la première fois, nous sommes pris à la gorge par une impression de fin de voyage, face à la mer et au ciel immense... Bien que cet endroit marque un terme, il n’est pas sans issue, car l’horizon y est porteur d’avenir et nous y voyons déjà poindre de nouvelles aventures, quelles qu’elles soient. Ni regrettant, ni pressés, nous sommes en phase avec ce moment délicat, ce tournant du voyage.

Nous pourrions clôturer ce blog sur ces deux mots: “The End”, bien qu’il soit probablement plus juste de d’écrire “En route!”pour de nouvelles péripéties. Mais c’est déjà une autre histoire...
Il nous reste alors à dire “Merci!” à vous tous, qui nous avez lus et soutenus, ainsi qu’à tous ceux rencontrés en chemin: merci pour vos sourires, pour votre accueil, pour vos différences, pour vos regards, pour tous ces bouts de route.

Marianne et Chris

lundi, mars 20, 2006

Bangkok - Siem Reap - Battambang - Phnom Penh - Sihanoukville - Phnom Penh - Bangkok

Sua s'dei !

Le voyage au Cambodge est avant tout un moment privilégié avec Douglas, le frère de Chris, qui nous fait le plaisir de nous retrouver pour deux semaines de folaïe. Le séjour commence sur des chapeaux de roue: en guise de cadeau de Noël, Douglas nous offre deux nuits au Marriott de Bangkok. Oufti! Nous voici donc avec nos grosses bottines et nos sacs à dos dans ce superbe univers feutré, où les soieries drapent les murs, où les plantes exotiques encadrent une piscine de rêve et où de gros éléphants en terre cuite trônent au beau milieu de halls spacieux. Difficile de se fondre dans le paysage (sauf quand nous nous cachons dans les branches de palmier…), mais peu importe: nous en profitons plus que jamais! D’ailleurs, pour Douglas, un massage Thaï s’impose après ses quarante heures d’avion successives. Nous sommes vraiment heureux de le revoir, ce sacré Doudou. Les retrouvailles n'en finissent plus : effusions, claques viriles dans le dos, compliments d'un barbu à un autre, fous-rires, batailles d'oreillers et papotes jusqu'à quatre heures du matin.

Bientôt, l'appel du Cambodge se fait sentir et nous prenons la route vers Siem Reap, afin d'explorer les temples khmers d'Angkor Wat. Notre périple nous emmène ensuite jusqu'à Phnom Penh, la capitale, en passant par les villages flottants du lac Tonlé Sap et par les vestiges coloniaux de Battambang. Enfin, Sihanoukville et ses plages de sable fin constituent la dernière étape de notre périple cambodgien, avant de rejoindre Bangkok via Phnom Penh.

Angkor, on en veut encore!
Trois jours de découverte, trois jours de levers avant l'aube et de retours après le crépuscule, afin de ne perdre ni une seconde ni un éclat de la magie d'Angkor. Certes, se réveiller chaque matin avant cinq heures requiert un zeste de masochisme (« j'ai beau être matinal, j'ai mal! »), mais le spectacle grandiose du soleil se levant sur le Wat des wats dépasse toutes nos espérances. Nous ne nous lassons pas de le regarder émerger progressivement derrière cette masse sombre et dentelée, alors que les nénuphars fuschias se colorent et s'ouvrent peu à peu.
Comment résumer une visite des temples d'Angkor? Les impressions sont multiples. Nous ne pouvons qu'être frappés par la taille des temples et des blocs de pierre qui les constituent, ainsi que par une architecture qui évoque la stabilité et la puissance d'une civilisation. Les plans en enceintes carrées, se répétant en étages au fur et à mesure que le temple pyramidal s'élève dans une géométrie simple et efficace, contrastent avec les tours qui les surplombent, leurs courbes, leurs bas-reliefs et leurs visages sculptés: toute une fantaisie, toute une souplesse, dans un foisonnement de détails. Et puis, toutes ces galeries, ces carrefours dans la fraîcheur et l'ombre des voûtes, à l'abri du soleil cuisant.
Il n'est pas toujours évident de comprendre la religion hindoue dans des temples désaffectés ou réinvestis par le Bouddhisme, qui se marie paisiblement avec les statues et les bas-reliefs plus anciens. En ces lieux, nous pressentons clairement la richesse de la civilisation khmère et la complexité de sa religion, sans pouvoir y accéder pleinement. Le charme n'en est que plus fort, tout comme le désir d'en savoir plus, afin de franchir la distance culturelle qui nous sépare de ces vénérables pierres. Nous nous laissons aller à la contemplation des visages énigmatiques du Bayon, qui laissent présager tout un monde intérieur ; nous nous plongeons sans retenue dans les mythes hindous relatés par les bas-reliefs d'Angkor Wat, fascinés tant par leurs histoires que par la beauté et par la finesse de leur réalisation. Entre autres, nous restons rêveurs face au « barattage de la mer de lait »... Un raccourci vers le temps des légendes et des dieux mais aussi les batailles épiques entre les Khmers et leurs rivaux, les Chams, sur les rivières remplies de crocos, poissons et tortues. Les belles Apsaras (nymphes célestes) dansantes ne laissent pas non plus de marbre nos deux aventuriers, envoûtés par leurs grâces. Enfin, des temples comme Ta Prohm ou, plus encore, Beng Meala, stimulent l'imagination : nous sommes transportés aux côtés de l'Indiana Jones de notre enfance, à la recherche des temples perdus, enfouis sous la végétation.

Dessine-moi un Bouddha!
Depuis notre arrivée à Sihanoukville, petite ville bordée de plages de sable fin dans le sud du Cambodge, nous ralentissons le rythme de nos pérégrinations pour mettre à exécution notre plan « dolce vita ». Voté à l'unanimité, celui-ci ravit toute la troupe. Une fois Douglas et Chris partis pour s'ébrouer dans les vagues, Marianne s'installe tranquillement sur la plage pour prendre des notes à son aise... Peut-être parce qu'elle est la seule femme blanche habillée décemment sur toute la plage, elle attire la sympathie des locaux, qui n'hésitent pas à venir lire son carnet par-dessus son épaule, à tailler une bavette ou à jouer à oxo dans le sable, pour les plus petits. Un jeune moine, entre autres, s'assied à côté d'elle pour discuter quelques temps. De ce fait, Chris et Doug perdent le public privilégié de leurs acrobaties aquatiques... Pour récupérer son attention, il leur faut donc frapper un grand coup! Du coin de l’œil, Marianne aperçoit alors deux maillots virevoltant à tous vents au-dessus de leurs têtes! Shocking! Les deux frères se félicitent du choix du stratagème, hautement efficace...
Le lendemain, Marianne a complètement oublié que c'est son anniversaire: Chris et Doug le lui rappellent sans tarder, dans un duo Pavarotti-Domingo des plus flamboyants. S'en suit un petit déj' de fantasme: muesli aux fruits (mangues, bananes et fruits de dragons), crêpes au chocolat et vrai bon café... Rhâââ... Nous passons la journée sur une plage déserte dans un parc national tout proche, histoire d'enfin pouvoir couler Marianne, de profiter du décor idyllique, de ramasser des coquillages, de défendre un château contre la marée et de dessiner des Bouddhas dans le sable. Le soir, à la tombée du jour, nous grimpons en haut de la plus haute colline des environs, afin de profiter du coucher de soleil sur la mer et les îles du large. Quatre gamins d'une dizaine d'année nous rejoignent alors par curiosité et nous leur apprenons quelques chansons qui les font littéralement s'écrouler de rire..."Aline", avec les bruitages, remporte un franc succès! Enfin, nous passons la soirée au "Bayon", un bar sur la plage. Les pieds au bord de l'eau, à boire des cocktails et manger des fruits de mer, nous nous laissons bercer par le ressac. Such a perfect day.

Brèves :

Un train d’enfer
Le voyage en train de Bangkok vers la frontière cambodgienne nous plonge rapidement dans l’ambiance chaude et humide de certains coins de l’Asie du Sud-Est : le wagon est plein à craquer, au point qu’il est impossible de se frayer un passage vers les toilettes, à moins de littéralement escalader les gens qui se tiennent debout dans l’allée centrale. Et pour ce qui est des places réservées aux moines, elles ne sont pas restées libres très longtemps !

Mauvaises mines
Nous n'avons pas dû chercher loin pour trouver des traces de la récente histoire du Cambodge, elles sont partout: les temples minés, les panneaux affichant une tête de mort grimaçante en guise d'avertissement, les démineurs travaillant d'arrache-pied dans les champs le long des routes, ou les innombrables mutilés qui arpentent les rues de Siem Reap et de Phnom Penh. Tout ici témoigne d'une blessure toujours vive et d'un désastre qui touche encore trois personnes par jour, presque trente ans plus tard.

La mémoire des visages
A Phnom Penh, nous visitons la prison S21 de Tuol Sleng, où les Khmers Rouges détenaient et torturaient les opposants à leur régime de terreur, avant de procéder à leur extermination en masse dans les Killing Fields.
L'arrivée à Tuol Sleng est déroutante: nous attendions des baraquements, des barbelés, et nous entrons dans une ancienne école, avec sa paisible cour de récréation, presque conviviale... au premier abord. Car bientôt, des centaines de portraits photographiques de détenus témoignent, forment une mémoire, qui nous interpelle sans discontinuer. La visite est éprouvante. Que dire? Un tel spectacle, une telle horreur, un tel manque d'humanité impose un silence pesant. Les conversations qui s'en suivent ne peuvent être que théoriques et cérébrales, tentant de maîtriser, de circonscrire l'angoisse, la déception et l'infinie tristesse ressenties face à l'incompréhensible génocide Cambodgien.
Aux Killing Fields, telle une bouffée d'espoir, des myriades de papillons volètent au-dessus des fosses communes, comme autant d'âmes réincarnées.

Les insectes sont nos amis...
Douglas nous fait rire aux larmes à maintes reprises, lorsqu'il se retrouve confronté aux conditions de voyage quelque peu rudimentaires dans lesquelles nous baignons maintenant depuis six mois. Nous passerons sous silence l'épisode de son apprivoisement douloureux des toilettes locales, pour vous raconter deux courtes « bug stories ».

Un midi, dans les environs d’Angkor, alors que Chris et Douglas se dirigent vers les toilettes d’un petit bouiboui où nous venons de déjeuner, Chris raconte avec moult détails comment il a fait face aux « atroooces » araignées locales dans une région du sud de la Chine. Ils sont alors interpellés par la tenancière du resto, qui leur demande leur nationalité. En plein milieu de la discussion, tout d’un coup, Douglas pousse un hurlement d’effroi digne d’un phacochère auquel on arrache les dents (si si…) et fait un bond de deux mètres en arrière. Dans le même mouvement, il envoie voler les lunettes de Chris, qui, surpris par le cri d’horreur et sous le choc de son geste violent, a la frayeur de sa vie. A son tour, il produit un son indescriptible qui s’étrangle dans sa gorge serrée. La jeune femme, ahurie, fixe du regard les deux grands dadets, se disant sûrement que, « après mure réflexion, les étrangers sont vraiment très très bizarres ». Chris, à peine remis de ses émotions et après avoir ramassé ses lunettes, s’adresse à son frère pour lui demander ce qui a bien pu lui prendre. Douglas, tétanisé, lève les yeux au ciel et lui montre du doigt une vaste toile d’araignée qui pend au-dessus de leurs têtes. En son milieu, confortement installée aux premières loges, une « giiiiiigantesque » araignée noire et jaune ricane de tout son abdomen, les huit fers en l’air. ;-)

Un autre jour, arrivés à Battambang, nous nous affalons sur nos lits respectifs après une longue journée de trajet. Tout à coup, Douglas sursaute et se lève en hurlant: “mais c'est dégueulasse ici!! T'as vu ces bestioles??!!”. Il pointe du doigt quelques petits mille-pattes rouges, au demeurant fort sympathiques, qui déambulent entre ses draps. De plus près, nous constatons que son lit en est effectivement plein. Douglas, révulsé, refuse catégoriquement son karma, en répétant qu'il n'a jamais vu un endroit aussi insalubre, pendant que nous nous tordons de rire sur nos lits respectifs. C'est alors que, le nez dans nos oreillers, nous constatons que nos propres literies sont elles aussi habitées! Il est temps d'appliquer cette bonne vieille technique du sac de couchage remonté jusqu'au menton et de se rappeler que, tous comptes faits, c'est bien mieux que les rats... Sweet dreams!

Angkor What?
Nous passons le cap de la nouvelle année à Siem Reap. Ce soir là, nous rejoignons le centre où tout le monde se réjouit: l'effervescence est presque palpable. Nous commençons par nous régaler dans un bon resto, dont les murs peints en rouge sont décorés de voluptueuses Apsaras de bois. Douglas jure alors qu'il ne quittera jamais Siem Reap sans son Apsara. Pour patienter en attendant minuit, nous entrons dans un bar, l' « Angkor What? », où l'on passe de la bonne musique. L'ambiance monte et partout les gens dansent dans les cafés, sur les trottoirs, sur les balcons, c'est excellent! Sur le coup de minuit, tous sortent dans la rue, une foule dense et joyeuse se congratule, trépigne, surexcitée, et entonne le « New Year's Day » de U2, à en faire frissonner plus d'un. Autrement dit, avec un peu de retard: Bonne Année 2006 à tous!!!

Nous voyons arriver la fin de notre voyage cambodgien avec un pincement au cœur, car elle signifie le départ de Douglas. Notre trio d'enfer doit se séparer, mais ce n'est qu'un au-revoir!
Après un court séjour à Bangkok, nous quittons l'Asie et, avant de rentrer au plat pays, nous faisons un saut en Nouvelle-Zélande, histoire de nous réacclimater peu à peu à l'Occident!

See you soon,

Marianne et Chris

dimanche, mars 12, 2006

Tchop tchop tchop pour les Katangs!

Chers amis,

La plupart d’entre vous auront remarqué que nous sommes de retour en Belgique. La joie de retrouver nos familles et amis nous a submergés ces deux dernières semaines, mais il est maintenant temps de poursuivre notre récit du voyage et de le terminer. À commencer par l’une des expériences les plus marquantes de notre périple: le trek au pays des Katangs. Que les fans de brèves nous pardonnent, mais nous désirons partager cette expérience dans toute sa richesse.

À Savannakhet, au sud de Vientiane, nous entreprenons d’aller à la rencontre des Katangs, un peuple animiste vivant dans le parc national de Dong Phu Vien, à l’Est, non loin de la frontière vietnamienne. Le trek, projet d’écotourisme local lancé il y a de cela deux ans, manque aujourd’hui de fonds pour être maintenu a un prix décent pour des backpackers. Peu importe, nous persistons et embauchons deux jeunes professeurs d’anglais locaux, Thip et Moonhang, qui proposent leurs services de guides pour arrondir les fins de mois. Le courant passe tout de suite entre nous.
Les quatre heures de trajet pour nous rendre au point de départ sont épiques: serres les uns contre les autres dans un sawngthaew (pick-up amélioré avec des banquettes), nous voici exposés aux grands vents de la route, qui fouettent notre frêle équipage. Dès que nous nous arrêtons dans un village pour laisser monter ou descendre l'un ou l'autre passager, nous sommes assaillis de toutes parts par diverses brochettes, soit de poulets rôtis – parmi lesquels nous reconnaissons quelques rats écartelés–, soit d'oeufs crus semi coulants, et autres snacks alléchants, tels que de gros concombres pustuleux, pour ceux qui auraient un petit creux en route.
Une étape dans un marché nous permet de faire quelques emplettes avant le trek. Les habitants de ce village ne doivent pas souvent voir des étrangers, car notre présence suscite à la fois curiosité, crainte et enthousiasme. Thip et Moonhang nous font goûter les spécialités locales que nous emporterons avec nous pour ces trois jours: beignets de bananes frites, salade (hot!) de papaye, très prisée au Laos, soupe de pousses de bambous, légumes sautés a l'ail, poulet grille, poulet concassé en salade, salade de "plantes de la forêt" (ici, ne pas se poser trop de questions), banane et, bien sur, l'incontournable riz collant, notre ami le "Sticky Rice"!

Pour atteindre la forêt, il nous faut prendre un autre pick-up, qui soulève des nuages de poussière rouge. Tout à coup, un arbre énorme barre la large piste de tout son long. Il est tombé il y a peu, semble-t-il. Nous tentons de dégager un passage sur le bas-côté, couvert de lourdes lianes inextricablement emmêlées. Notre ardeur se voit quelque peu refroidie à l’idée de la faune grouillante, rampante et hostile qu’elles abritent très probablement. Après une (longue!) quinzaine de minutes de travaux infructueux, le chauffeur décide de tenter le tout pour le tout et nous assistons sans réelle surprise à son empêtrement complet dans les lianes. Néanmoins, notre karma semble être favorable ce jour-là, puisque, assez vite, deux autres véhicules arrivent, bondés de locaux armés de machettes étonnamment tranchantes. Le véhicule est alors dégagé en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Nous les remercions en joignant les mains à plusieurs reprises.

Enfin, arrivés au point de départ du sentier qui doit nous mener au village de Ouan Si Keo ce soir, nous rencontrons notre guide local et de son pater. Katangs, ils sont respectivement père et grand-père d’une famille florissante. Le plus jeune connaît le lao, ce qui, par l’intermédiaire de Thip et Moonhang, nous permet de communiquer avec lui et, ensuite, avec les autres Katangs de son village. Les présentations étant faites, il s'agit de déjeuner avant de démarrer la randonnée proprement dite: nous étalons des branchages de larges feuilles vertes sur le sentier pour y répartir nos achats du matin dans de petits sachets en plastique retroussé. Nous nous asseyons tous par terre, autour de cette table improvisée, quand Thip nous propose de nous laver les mains... eh oui, ici on mange avec les doigts... c'est tout un art: il faut faire une petite boulette de sticky rice et la tremper dans les différentes soupes et salades offertes. Contrairement à chez nous, plonger directement les doigts dans les plats est hautement recommandé! C'est l'occasion de se rendre compte que le sticky rice fait les sticky fingers... Enjoy your meal!
Le contact avec nos guides Katangs s’établit très facilement: ils sont curieux, nous posent des tas de questions (sommes-nous mariés, avons-nous des enfants, quel âge avons-nous?) et nous ne nous privons pas non plus pour leur en poser. Chris nous offre même un moment d'anthologie, lorsque, d’un air très professionnel, il demande au guide: "and, What's your job?". Thip est morte de rire, face a cette expression toute moderne, mais elle traduit. La culture du riz (une récolte par an) constitue son occupation principale, mais le reste du temps, il "cherche de la nourriture pour sa famille", c'est-à-dire qu'il pêche et qu'il cueille fruits et herbes dans la forêt. Un « pêcheur cueilleur », en quelque sorte. Les Katangs ne chassent pas, bien que la forêt soit peuplée de "vaches sauvages", de sangliers, de singes et d'ours à collier. Autrefois, se rappelle le grand-père, il y avait même des tigres et des crocodiles.
Nous aimons écouter ce grand-père, si petit et frêle, presque comme un enfant, auquel il nous fait irrésistiblement penser, avec son short de scout, ses courtes jambes, minces comme des allumettes, sa casquette de Gavroche et son éternel sourire de gamin, mi-amusé, mi-émerveillé. Une seule chose trahit son âge: une petite pipe tordue à la Popeye, bourrée de tabac et vissée à ses lèvres minces.

Nous voilà partis, le long d'un sentier de sable blanc qui se perd dans une végétation luxuriante. Vu la proximité de la piste Ho Chi Min, par laquelle les Viets Congs amenaient armes et provisions au sud du Vietnam, Chris demande, par sécurité, s'il y a des UXO (Unexploded Ordonances – bombes inexplosées) dans les parages. – Il faut savoir que le Laos fut l’un des pays les plus bombardés au cours de la guerre du Vietnam, bien que cet aspect de l’Histoire fut longuement occulté. En effet, à l’époque, les Viets Congs niaient tout existence de la piste Ho Chi Min en territoire lao (neutre), alors que les Etats-Unis démentaient tout bombardement de la région. Ce faisant, les deux parties violaient les accords de Genève sans scrupule –. À ce moment-là, le guide se retourne et pointe du doigt trois piquets d'une vingtaine de centimètres fichés dans le sol d’une clairière. Sur l'un d'eux, quelqu'un a noué un ruban turquoise. Effectivement, à quelques mètres de nous, à peine signalée par ces maigres bâtonnets: une bombe. Autour d'elle, ce que nous avions d'abord pris pour une clairière s'avère être une étendue ravagée trente ans plus tôt par les bombardements, le napalm et les pesticides. Aujourd’hui restent une roche noire, comme calcinée, quelques herbes maigrichonnes, bref, une forêt décimée. Le guide ajoute que ces espaces morts sont nombreux dans les environs, car il s’agit des anciens emplacements de campements militaires Viet Cong, cibles privilégiées pour les bombardements américains. Plus loin, voyant que nous sommes intéressés par le sujet, le guide nous emmène un peu à l’écart du chemin pour nous montrer un drôle de champignon, pas plus gros qu'un citron, tout gris avec des taches noires. Cette fois-ci, nous distinguons clairement la bombe, à peine ensevelie. Elle n'a pas explosé, mais pourrait encore le faire: il suffirait d'une forte lumière, un grand soleil et d'un "effet loupe". Gosh. Un peu plus loin un cratère témoigne silencieusement d'une explosion qui, elle, n'a pas attendu. Nous rejoignons la piste sur la pointe des pieds, frissonnants, conscient du danger pour les habitants de ces forêts. Il y a, parait-il, encore aujourd’hui, beaucoup d'accidents dans ces villages.

-Après quelques heures de marche, la présence de rizières annonce que nous approchons du village. Au-delà d'un petit troupeau de vaches blondes, se dressent de belles et solides maisons de bois sur pilotis. Quand nous pénétrons dans le village, sur la piste de latérite, c'est d'abord l'étonnement général, puis les éclats de rires, si beaux, lorsque nous saluons en Katang: " Banjoaan!". Bientôt, tous les villageois accourent pour nous voir. Ils se postent le long de notre chemin, nous échangeons sourires et regards émerveillés. Mémorable... Le chef du village vient nous souhaiter la bienvenue et nous sommes introduits dans une maison où il fait déjà très sombre: c'est que le soir tombe et ils n'ont ni électricité, ni bougies. Chaussures enlevées, assis en tailleur sur des nattes, nous distinguons avec peine une grande pièce, avec trois petits compartiments le long de l'un des murs, ainsi que deux fenêtres et une passerelle qui donne sur le pilotis d'à-côté, qui sert de cuisine.

Avant le dîner, nous nous débarbouillons au puits, aménagé grâce à l'aide d'une ONG canadienne. De retour a la maison, pendant que Thip prépare le repas avec les autres femmes de la maison, Moonhang nous apprend que l'un des murs est sacré: diriger ses pieds dans sa direction serait un véritable manque de respect et nous devons y être attentifs. Pour ce peuple animiste, l'esprit de la maison est particulièrement important et il ne faut en aucun cas l'offenser. L'une des petites chambres lui est d'ailleurs consacrée: c'est la chambre sacrée. Seuls les membres de la famille peuvent y pénétrer et même la belle-fille, qui habite généralement avec son époux chez les parents de celui-ci, ne peut jamais s'y aventurer, sous peine de fâcher l'esprit de la maison. En revanche, elle dispose d'une chambre pour elle toute seule, où elle peut rencontrer son époux avec un peu plus d'intimité.
Au cours de la discussion, les hommes du village se sont rassemblés dans la pièce. Nous discutons de leurs activités, somme toute très proches de celles des Bulangs: leur vie est dominée par la culture du riz, en dehors de quoi, les femmes puisent l'eau, font la cuisine et tissent, tandis que les hommes vont dans la forêt pour trouver de la nourriture et des plantes médicinales. Nous demandons au chef « comment devient-on le chef du village » et celui-ci nous explique que c'est un choix des villageois: il est reconnu comme étant le plus compétant pour assurer la prospérité du village, pour relever ses défis économiques et pour procurer de bons conseils de santé ou de "longue vie". Si jamais il fait mal son boulot, les villageois choisissent un autre chef...
Le repas arrive. C'est le seul moment où nous verrons les femmes: elles apportent une série de petits bols fumants, qu'elles déposent en enfilade sur le sol. Nous tentons d'en distinguer les contenus, mais peines perdues: il fait trop sombre avec, pour seul éclairage, un bambou farci de résidus enduits d'huile artisanale. Heureusement, Thip nous vient en aide et désigne le contenu de chaque bol: de la soupe aux os de poulet, du poulet haché, des concombres, des racines aux formes étranges, des légumes sautés et... des vers à soie bouillis (que Marianne a d'abord pris pour des noix – ce qui aurait d’ailleurs facilité la mise en bouche!)... Le tout accompagné de sauce chili et de sticky rice. Tout le monde plonge allègrement les doigts dans les différents plats et nous sommes vivement invités à goûter les vers à soie, une délicatesse locale... qui s'avère d'abord croquante, puis juteuse-gluante et acide comme du citron. Pas terrible... En revanche, les racines ont un sympathique petit goût de marron!
Une foule incroyable s'est attablée autour de ce repas: les quatorze personnes qui vivent dans cette maison, plus tous ceux qui observent nos moindres faits et gestes depuis le fond de la pièce ou le seuil de la porte. Nous distinguons à peine leurs visages... Intimidant.

Après le dîner, les conversations se poursuivent, jusqu'à ce que l'on annonce la cérémonie du Baasii, pratiquée par les Katangs lors de chaque moment important, comme un mariage, un décès, un départ en voyage ou la venue d'étrangers, car les notions d'hôte et d'accueil sont très importantes pour ce peuple. Quelqu'un apporte un plateau, sur lequel reposent une assiette de riz non cuit, une assiette avec un poulet entier bouilli, ainsi qu’un pot en osier contenant des fils de coton. Une bouteille de lao-lao, le baiju (tord-boyaux) local, accompagne le tout. La cérémonie peut commencer.
Tous les hommes autour de nous saisissent le plateau et nous invitent à faire de même, pendant que le plus vieil homme du village le soulève par trois fois en psalmodiant des formules protectrices de bonne chance et de longue vie. Ensuite, chacun à notre tour (Marianne, Chris, Thip et Moonhang, c’est-à-dire les étrangers), nous devons d’une main soutenir l'assiette offerte à bras tendus par les Katangs, accompagnée d’un gobelet de lao-lao. Entretemps, le vieil homme nous noue quelques fils de coton autour du poignet, en chantonnant des paroles sacrées, invitant le mal à nous quitter et le bien à venir en nous (presque un exorcisme! Assez impressionnant...). Il faut alors vider le gobelet de lao-lao d'un coup sec, avant que les membres de l'assemblée ne reprennent le même mouvement et ne nous nouent d'autres fils de cotons autour des poignets en appelant sur nous la protection des esprits de la forêt, afin que nous ayons un bon voyage. Pendant ce temps, le gobelet circule. Enfin, l'ancêtre nous demande de tendre les mains et les asperge de gouttes de lao-lao, toujours accompagnées de formules de son cru. Le poulet et le riz sont aspergés à leur tour: c'est le moment de désosser le poulet et de partager les morceaux tous ensemble. Dans les ossements, l'un d'eux lit que notre voyage se poursuivra sans encombre et que nous rentrerons sains et saufs. Quel soulagement! Avec ces bracelets, nous disent-ils, nous serons protégés par les esprits et pourrons toujours compter sur les Katangs, où que nous soyons.

Deux instruments de musique font alors leur apparition: l'un à deux cordes, l'autre comme une longue flûte de Pan. Le chanteur attitré du village, une sorte de barde, commence alors à frapper dans les mains et à chanter. Peu à peu, nous réalisons – grâce au chef qui traduit en lao –, qu'il est en train d'improviser son chant. Il relate notre arrivée et le plaisir que nous avons à être ensemble. Ils nous offrent la chanson en signe d'amitié et, sur leur demande, nous chantons à notre tour le Cantique des patrouilles, pour chanter la beauté de la terre et l'hospitalité des Katangs... Quelle soirée mémorable.

Il est temps d’aller dormir et, comme la coutume katang le veut pour les étrangers, nous nous séparons. Marianne suit Thip en direction de la maison d’à côté et Chris s’installe sous la moustiquaire près de Moonhang.

Le lendemain matin, plus que le piaillement des poussins, c'est le martèlement sourd du pilon sur le riz qui nous réveille en sursaut vers 4 heures: un rapide coup d'oeil dehors nous confirme que la vie quotidienne du village bat déjà son plein alors qu’il fait encore sombre!
Profitant de la fraîcheur matinale, nous partons pour la forêt sacrée, guidés par l'un des habitants du village, afin de surprendre quelques langurs (grands singes élancés, aux longs bras) au moment de leur collation matinale.

Au fur et à mesure que nous nous éloignons du village et que nous pénétrons dans la forêt, celle-ci se fait plus dense. Bientôt, le maigre sentier disparaît et nous devons nous frayer un chemin entre les arbres, les lianes, les ronces et les buissons, formant un sous-bois qui ne mérite déjà plus ce nom tant, du sol aux cimes, ce n'est qu'un enchevêtrement continu de végétation.
En cours de route, notre guide, qui progresse d'un pas léger (contrairement à nous, qui nous nous empêtrons à chaque enjambée!), en petites sandales, s'arrête à plusieurs reprises aux pieds d’arbres gigantesques (dits « diptérocarpes », pour les inités) , dont les singes semblent apprécier les fruits. Malheureusement, depuis la veille, un vent violent souffle sur le village et la forêt, secouant les hautes cimes sans ménagement et, avec elles, toute leur population. Peu a peu, nos espoirs s'amenuisent: il semble que les singes ne daignent pas se montrer aujourd'hui, préférant se protéger du vent.
Soudain, le guide s'arrête net et recule. Nous le rejoignons rapidement, poussés par l'inquiétude et la curiosité, pour apercevoir, lové dans des branchages à hauteur de mollet, un serpent tout mince, vert comme de l'herbe tendre. Il ne semble pas s'émouvoir de notre présence. Peut-être est-il encore tout engourdi par la fraîcheur de la nuit. Nous apercevons distinctement sa petite tête triangulaire aux mâchoires proéminentes et demandons au guide s'il est dangereux. La réponse est sans équivoque: "OK. Dangerous". Gulp. Le sang de Marianne se glace instantanément. Plus tard, le chef du village nous expliquera que la victime du "tree snake" ne meurt pas, mais que le membre mordu gonfle terriblement et que tout le corps tombe atrocement malade, comme paralysé. Entre-temps, le guide s'est muni d'un petit bâton pour déloger ce reptile qui entrave le passage. Lentement, celui-ci s'ébranle enfin, pour se fondre dans la végétation. Nous réalisons crûment notre vulnérabilité dans un tel environnement.... et repartons, scrutant plus que jamais le moindre branchage. Plutôt stressant, comme ballade matinale (sans compter les UXO!).
Enfin, nos efforts sont récompensés: la cime des arbres s'agite, quelques feuilles pleuvent et un grand singe noir, gris et rouge se jette d'une branche à l'autre. Il s’agit d’un douc langur, une espère rare! Cette vision furtive nous redonne espoir et nous nous rapprochons de ces arbres pour observer ces superbes animaux d'un peu plus près. Nous entendons les feuillages bruisser, voyons les branches ployer sous leur poids, mais ils refusent de se montrer et nous ne pouvons que deviner leur présence. Soudain, un singe plus petit fait son apparition: il arbore un pelage blanc et argenté, ainsi que de petites oreilles touffues. Cette fois, nous admirons un langur argenté... Il nous offre le loisir de l'observer quelques instants, avant de s'élancer à nouveau dans les feuillages, de ses longs membres agiles.

En quittant le coeur de la forêt, nous passons par un endroit plus dégagé, où il est à nouveau possible de circuler plus librement entre les arbres. C'est alors que le guide nous montre des poteaux de bois sculptés, plantés a la verticale dans le sol. Ces sortes de totems, hauts comme un homme, marquent l'emplacement d'un cimetière un peu particulier.
En fait, nous explique le guide, les Katangs n'enterrent pas leurs défunts à cet endroit, mais dans la forêt sacrée, à deux pas de là. Peut-être tous les vingt ou trente ans, lorsqu'une famille a vécu plusieurs décès, elle décide d’honorer ses morts. À cette occasion, le beau-fils de la famille - et lui seul - sculpte un totem, ainsi qu’un beau coffre en bois. Toute la famille célèbre alors les défunts en sacrifiant un buffle et tout le village est convié pour un grand festin, ou le lao-lao coule à flots. Ensuite, ils prélèvent un peu de terre à chaque endroit un où un corps fut inhumé au cours des années précédentes. Les différents petits paquets de terre sont rassemblés dans un linge de coton blanc et déposés dans le coffre fraîchement sculpté. Enfin, le coffre est enterré à la lisière de la forêt sacrée et la famille plante un totem pour signaler son emplacement et son appartenance au village Katang. Les inscriptions qui y sont gravées mentionnent la famille et le moment de la célébration. Dans vingt ou trente ans, une nouvelle offrande aura lieu...

De retour au village, nous faisons un dernier petit tour pour dire au revoir à tout le monde, avant de reprendre la route – accompagnés de deux nouveaux guides Katangs. Chacun vaque à ses activités depuis plusieurs heures, déjà. Une femme tamise son riz, en le faisant sauter dans un grand plateau en osier, une autre tisse un sarong sur un grand métier en bois sculpté. Ailleurs, une autre encore file la soie d'une série de vers arrivés à maturité et bouillis dans une grande marmite. Certains sont blancs, d'autres jaunes et cette dernière couleur prédomine dans les fils. Les outils sont rudimentaires, mais le résultat remarquable.
Dans une maison, un tout jeune enfant est tombé sérieusement malade. Il est allongé par terre, enroulé dans une couverture. Il doit avoir à peine un an. Sa famille et le chamane se sont réunis autour de lui pour parler aux esprits et tenter de savoir lequel d'entre eux "a fait ça", avant de le prier de sauver l'enfant. Les Katangs n'utilisent pratiquement aucune médecine médicamenteuse: toute guérison passe par l’administration de quelques herbes et par un dialogue avec les esprits, sous forme de chant lancinant. Nous croisons les doigts pour l'enfant... le coeur serré. Le taux de mortalité infantile est plutôt élevé dans la région.
En quittant le village, nous croisons une belle école primaire, construite en dur grâce à des fonds étrangers, où les enfants s'appliquent sur leurs ardoises, avant de lever le nez et d'ouvrir des yeux incrédules au passage des "falangs" (les étrangers blancs) que nous sommes.

Au cours de cette seconde journée de rando, il nous faut traverser plusieurs rivières à gué. Avec nos grosses bottines et nos longs lacets, nous ralentissons la petite troupe aux sandales légères, qui nous regarde d'un air amusé faire “les Anglais à la plage”, chaussures à la main et pantalons retroussés sur nos beaux mollets blancs!

En chemin, le guide nous révèle quelques secrets et bienfaits de la forêt pour les Katangs. Ainsi, telle plante aide à cautériser une plaie ouverte et telle autre doit être bue en infusion par la jeune accouchée. Certaines plantes apaisent la nausée, alors que ce petit fruit vert, rond et translucide recèle, sous sa peau, une glu très efficace pour attraper les insectes (eh oui, nous n’avons pas inventé les colle-mouches!). En cas de soif, le voyageur peut même trancher une liane qui contient une eau douce et pure (pas mauvaise, d'ailleurs). Enfin, les Katangs creusent un trou à même le tronc des diptérocarpes, pour en extraire de l'huile, à l'aide d'un feu maîtrisé. Enduite sur un bâton ou fourrée dans un bambou, cette huile brûle longtemps créant ainsi une torche bien utile (comme nous avons pu le constater la veille) pour ce peuple qui ne dispose pas de l'électricité.

Nous arrivons près d'une grotte où, explique notre guide, repose le corps d'un géant haut comme huit hommes! Le cercueil est inaccessible et nous devons le croire sur parole, avant de nous éloigner sur la point des pieds, au cas où le monstre ne serait qu'endormi...

Nous profitons de la pause de midi, du riz collant plein les doigts, pour papoter avec nos guides et leur demander comment se déroulent les mariages Katangs. En fait, les jeunes Katangs peuvent se marier dès l'âge de dix ans, âge approximatif, puisqu'ils ne fêtent pas les anniversaires. L'un des guides, par exemple, est incapable de dire son âge. Le jeune homme et sa famille doivent offrir une somme d'argent, aux parents de la jeune fille, au cours d'une cérémonie de Baasii. À cette occasion, ils revêtent les "costumes" ancestraux, qui se résument à de magnifiques décorations pectorales sur un corps relativement nu, pour l'homme, ainsi qu’à un beau sarong de soie, pour la femme. Enfin, au terme de la célébration et du festin inévitable, le jeune homme emmène son épouse chez ses parents, où ils habiteront jusqu'à ce qu’il n'y ait plus de place dans la maison et qu'il leur faille déménager pour laisser la place aux nouveaux couples. Comme dans le cas de l’élection du chef, nous apprécions la relative démocratie qui permet aux époux de se choisir en toute liberté (relative, car, au vu du statut des femmes, on parlerait plus volontiers de “machocratie” que de démocratie).

L'après-midi, sur le bord du chemin, nous croisons à nouveau un énorme cratère, trace des bombardements ravageurs qui eurent lieu dans le coin. Plus loin, un petit obus en forme d’ogive, avec ses quatre petits ailerons, intact, gît entre les rochers. Rien que l'année passée, dans le village de Ngang où nous dormirons ce soir, trois personnes sont décédées à cause de ces engins de morts laissés à l'abandon. Quelle tristesse! Quelle honte!

Arrivés aux pieds d'un rocher étrange, ressemblant à un rhinocéros, le guide nous fait asseoir pour écouter cette légende katang :
Il y a de cela très longtemps, le pays était habité par des gens très grands, qui avaient dénormes pouvoirs. Les Katangs ne savent pas qui ils étaient, mais pensent qu'ils étaient comme des dieux. Un jour, ils organisèrent une grande célébration en l'honneur du mariage de la fille de l'un d'eux. Pour fêter dignement cet événement, le père de la mariée décida d'inviter aussi les animaux au banquet. Le serpent et le rhinocéros, sachant que l'on y servirait des graines de sésame (!) et parce qu'ils adoraient ça, se mirent en route sans plus tarder. Or, au cours de leur voyage, des chasseurs les abattirent en plein vol (eh oui, en ce temps mythique, les serpents et les rhinocéros volaient avec grâce et aisance!). Le rhino s'écrasa à cet endroit, où l'on peut encore le voir pétrifié aujourd'hui.

En fin de journée, nous arrivons au village de Ngang. Dans la lumière de la fin du jour, l'atmosphère tranquille de cet endroit nous apparaît dans toute sa beauté, toute sa douceur. Ici une jeune fille pilonne le riz, mais pas trop vite, là une femme berce un enfant. Plus loin, une autre se lave les cheveux, enroulée dans son sarong trempé. Des odeurs suaves de poulet à la broche nous apprennent que les préparatifs de repas vont bon train à l'intérieur des maisons sur pilotis. Des enfants jouent dans la poussière rouge. Un visage s'encadre dans une petite fenêtre pour nous regarder passer. Sourires. Lorsque nous saluons les femmes et les hommes d'un ton enjoué: "Banjoaan!", ils éclatent de rire, comme la veille, en simple manifestation de joie. Les enfants, eux, craintifs, se réfugient chez leurs mères, les visages enfouis dans leurs sarongs brodés.
Le chef du village, un homme d'une quarantaine d'années, vient à notre rencontre, les bras ouverts. Il sert nos mains dans les siennes pour nous saluer, avant de nous mener à la maison où nous passerons la soirée (et la nuit, en ce qui concerne les hommes). C'est l'habitation d'un célibataire endurci, qui semble y vivre avec sa mère et sa soeur, elle aussi non mariée. Cet homme jouit d'un certain confort (tout est relatif, bien sûr!), car, depuis un an, il profite de l'électricité grâce à un panneau solaire. Ici aussi, la maison se remplit vite des curieux accourus des quatre coins du village. Cette fois, les enfants sont à l'honneur. La moitié de la pièce est remplie de gamins de 3 à 12 ans, assis ou accroupis, dans les bras les uns des autres ou debout à l'arrière: tous nous observent de leurs grands yeux émerveillés. À nouveau, les femmes sont totalement absentes. Assis en cercle avec nous, voici le chef du village, le maître des lieux, Moonhang qui joue les interprètes et le plus vieil homme du village, jovial et volubile. D'autres hommes les entourent et quelques jeunes se tiennent dans l'encadrement de la porte. Après les présentations et les questions habituelles, nous nous tournons vers les enfants pour briser plus sûrement la glace: nous leur demandons d'approcher et leurs aînés les encouragent en riant; c'est le moment de leur chanter "dans ma maison un grand cerf", avec les gestes et tout et tout. Thip leur traduit même les paroles de la chanson et les voilà ravis! "Tchop tchop tchop!", s'exclament-ils, en guise d'applaudissements. Deux petites filles s'avancent alors pour nous chanter l'hymne du Laos, appris à l'école, ainsi que d'autres chansons rapportant l'importance de l'hygiène ou les difficultés rencontrées par le professeur pour atteindre le village et son opiniâtreté car: "l'éducation c'est important!". Nous renchérissons donc avec "Aaaa-ram-sam-sam" et tant d'autres... Jamais ce procédé n'a aussi bien marché: les enfants rient, en redemandent et les adultes ont l'air de s'amuser tout autant. Bientôt, la conversation s'engage vraiment et nous sommes ravis par leur curiosité (que nous leur rendons bien!). Ainsi, ils veulent savoir quel est le climat en Belgique, frissonnent à notre réponse, demandent ce que l'on y cultive, si on y trouve des buffles d’eau, comment y vit-on, comment se déroulent un mariage, un enterrement, comment nous nous répartissons l'éducation des enfants, les tâches de travail, combien d'enfants nous avons et pourquoi si peu... De notre côté, nous apprenons qu'ils ont une bonne dizaine d'enfants par couple, car ils n'utilisent pas de moyens de contraception: dans leur esprit, tout dépend de la santé de la femme. En revanche, tant les hommes que les femmes s’impliquent dans l'éducation des enfants, qu’ils emmènent "sur leur lieu de travail", c'est-à-dire aux champs, qu’ils cultivent avec les petits accrochés sur leurs dos. Quand ils grandissent, les enfants vont à l'école primaire du village, puis, les plus chanceux iront à l’école secondaire, dans une bourgade atteignable grâce à une nouvelle piste. Le chef du village, quant à lui, est réélu tous les deux ou trois ans et ce sans limite, tant qu'il reste un bon chef. Chris s'intéresse aux "challenges" d'une telle responsabilité et le chef lui répond qu'il s'agit principalement de maximiser le bien-être de la communauté par la gestion des investissements et les revenus du village. Par exemple, il collecte l'argent généré par la venue des étrangers et il utilise ces revenus pour acheter des porcs, des poulets ou des buffles pour les villageois.

Peu a peu, l'enfilade de petits bols fumants s'organise, comme la veille, et tous se rassemblent pour le repas. Il y a à nouveau un monde fou. Selon l'habitude, nous mangeons assis par terre, avec les doigts. Oeufs, riz collant, concombres. Tout un festin.

Après le repas, arrivent encore d'autres villageois, car la fête se prépare : le "barde" local s'assied au milieu du cercle et l'on sort les deux instruments de musique vus la veille. Le plus vieil homme du village s'assied aux côtés du chanteur. Il rayonne de joie et nous dit être si heureux de notre présence! Ce soir-là, nous vivons des moments précieux, où les chansons s'improvisent sur des airs anciens, où les rires fusent, où l'on frappe joyeusement dans les mains (après avoir demandé la permission à l'esprit de la maison, bien sûr), où les Katangs dansent lorsque nous chantons pour eux. Leur enthousiasme et leur amitié nous vont droit au coeur. Si nous ne nous comprenons pas, nos regards communiquent, nos sourires disent notre gratitude et nos éclats de rire clament haut le bonheur d'être là, tous ensemble. Nous ressentons là une communion exceptionnelle.
Avec les Katangs, nous atteignons un niveau de communication, d'échange, et de découverte mutuelle dont, jusqu'alors, nous n'avions que rêvé. Une expérience de paix, de rencontre, une expérience humaine réellement émouvante. À cet instant, nous réalisons que nous avons trouvé ce que nous cherchions dans ce voyage : la possibilité d'établir un lien intense avec des gens si différents, si lointains de nous et de notre mode de vie.
Avant d’aller dormir, nous fredonnons la chanson improvisée sur un air katang au cours de la soirée:

Au-au Pays des Ka-ta-ang,
Chris et Marianne sont arrivééés...

Au-au Pays des Ka-ta-ang,
Chris et Marianne sont accueuilliiis...
Avec humour et modestiiie,

Au-au Pays des Ka-ta-ang,
Chris et Marianne se sentent chez eux...
Et pour qu'ils restent il faudrait peu...

Le lendemain, nous nous réveillons avec les poules, bien sûr : c'est l'occasion de se balader une dernière fois dans le village avant de reprendre la route.
Dans la maison de notre hôte, la grand-mère relève l'étamine blanche qui recouvre le grand plat rond en osier où grouillent des centaines de gros vers à soie : il est temps de les nourrir. Comme trois fois par jour, elle les recouvre de feuilles de mûrier récoltées dans la forêt. En deux mois à peine, ces voraces sont déjà devenus énormes.
Dehors, un homme construit un abris pour ses poulets. Un tout petit garçon, qui a peut-être quatre ans, mâchonne du riz, qu'il recrache ensuite sur une planche en bois, afin de nourrir deux chiots qui se jettent goulûment sur cette pâte prémâchée. Attendrissant. Plus loin, une vieille carcasse d'obus, coupée en deux, fait maintenant office de bac à fleurs.
Avant de partir, nous sommes invités dans la maison du chanteur public: il a un nouveau tracteur (sorte de petit moteur sur deux roues) qui doit être fêté et protégé par un Baasii. Il est six heures du matin et les hommes du village sont déjà là-haut, où l'on apporte le riz, le poulet bouilli, les fils de coton et quantité de lao-lao dans de vieilles bouteilles de Pepsi. On se salue, on se prend les mains, on se rappelle la soirée de la veille, à grandes tapes dans le dos! Avant que la cérémonie proprement dite ne commence, Moonhang nous annonce que, cette nuit, le chanteur est devenu papa pour la sixième fois. Nous le félicitons - bien qu'il ne semble pas plus ému que cela – et allons voir le bébé, couché dans le piloti-cuisine, à côté de sa mère; soigneusement emmitouflé dans une couverture dont seul dépasse son petit minois, il fait des bulles. La mère, elle, est déjà assise auprès du feu, comme si de rien n'était. Dans cette maison, nous rencontrons aussi Yuko, une anthropologue Japonaise qui vit dans ce village depuis quatre mois. Grande et mince, elle ne se fond pas vraiment dans le décor, avec sa peau très blanche et ses douces manières, mais les Katangs semblent l’avoir adoptée. Elle nous confie qu’il n’est pas facile tous les jours de vivre dans de telles conditions d’hygiène et d’intimité. Yuko explique en outre que les femmes katang n'ont pas le droit d'accoucher dans les maisons. Le moment venu, elles sortent donc pour mettre au monde en pleine nature, le plus souvent en pleine forêt. Hier soir, Yuko a vu celle-ci s'éloigner du village pour trouver un endroit propice. Respect... Nous quittons bientôt l'accouchée en lui souhaitant bonne santé et longue vie pour son enfant, sa première fille.
Le Baasii pour le tracteur commence. Entre nous, nous sommes étonnés de ce que les Katangs fassent une célébration pour un nouveau tracteur et pas pour un nouveau-né. La rudesse des conditions de vie et le haut taux de mortalité expliquent-ils cela? Ou bien serait-ce lié à la totale nouveauté du tracteur pour ce village? Le Baasii est l'occasion de boire ce lao-lao ultra-fort et certains sont déjà fort embrumés. Ce tord-boyaux nous brûle l'estomac avant même le petit-déjeuner. La cérémonie ressemble à notre premier Baasii, dans les grandes lignes. À nouveau, ils nous impliquent et nous souhaitent longue vie, bon voyage, alors que le plus vieux d'entre eux demande aux esprits de nous protéger dans notre périple. Après la cérémonie, avec un autre vieil homme, ils essayent tous les deux nos lunettes, fascinés, excités comme des puces, lorsqu'ils découvrent qu'elles leur permettent de voir à nouveau comme au temps de leur jeunesse.
Le plus vieux nous a pris d'amitié... Avant, nous confie-t-il, il avait peur des falangs, qui venaient pour faire la guerre. Maintenant, ajoute-t-il, quand il nous voit, il n'a plus peur. Il nous dit à plusieurs reprises à quel point il est heureux que nous soyons là.
Un autre encore nous invite chez lui pour partager lao-lao et poulet bouilli... Bonjour la migraine! Mais nous ne regrettons pour rien au monde. La confiance et l'amitié de ces gens sont extraordinaires.
Il faut bien repartir... mais ce village et ses habitants nous ont offert bien plus que le gîte et le couvert. Un peu de nous restera là-bas.

Après une heure de marche environ, le guide - qui, cette fois, est le chef du village en personne - s'arrête dans une verte clairière, un ancien champ en friche. Maintenant, les Katangs n'y cultivent plus, car l'endroit est sacré. Pourtant, il n'en fut pas toujours ainsi. Il y a longtemps, deux hommes travaillaient dans ce champ. En labourant, l'un d'eux déterra une jarre pleine d'argent. Voulant garder ce trésor pour lui tout seul, il le recouvrit de sa chemise. Sur le chemin du retour au village, il prétexta avoir oublié sa chemise pour retourner seul au champ. Là, surprise: la jarre avait disparu, enfoncée dans le sol. Depuis, tous ceux qui tentèrent de récupérer ce trésor enfoui furent punis: l'un devint fou et croyait nager dans le vent; d'autres rencontrèrent des serpents ou attrapèrent de mystérieuses maladies... les Katangs sont convaincus qu'un esprit garde jalousement ce trésor et, sagement, préfèrent ne plus cultiver cet endroit. De multiples légendes nous sont contées par le chef, ce jour-là.

Après avoir encore longé de vieilles tranchées Viet Cong reconquises par la jungle, nous arrivons sur les rives de sable fin de la magnifique rivière Xe Bang Hiang, large, imposante et d’un vert profond comme la luxuriante végétation qui la borde. Nous essayons de ne pas penser aux alligators et embarquons sur une frêle pirogue, vers la fin de notre périple.

À la fin des quatre heures de retour en sawngthaew, ce n’est pas la poussière qui fait briller les yeux de Thip et nous ne pouvons nous séparer sans émotion.

Comme vous avez pu lire, ce trek chez les Katangs nous a marqués ! Quelle expérience humaine intense, quel partage…
Pour les Katangs, tous en cœur : « Tchop tchop tchop !! »

À très bientôt pour les aventures cambodgiennes,

Marianne et Chris

mercredi, janvier 18, 2006

Hanoi - Vientiane - Luang Prabang - Vientiane - Savannakhet - Pakse - Kiet Ngong - Champassak - Pakse - Don Det - Pakse

Sabaidii!

Autant vous avouer d'emblee que nous avons adore le Laos et ses habitants. Un sens de l'accueil exceptionnel et des sourires omnipresents - malgre une pauvrete certaine - , un gout prononce pour les petits plaisirs de la vie, ainsi qu'une ambiance hyper-detendue: autant d'elements qui rendent ce pays vraiment agreable a vivre. Le Laos, c'est toute une philosophie, issue du Bouddhisme Theravada. Les Francais de l'Indochine l'avaient deja compris, lorsqu'ils assuraient que: "Les Vietnamiens plantent le riz, les Cambodgiens le regardent pousser et les Laos l'ecoutent pousser". Durant trois semaines, nous avons donc ecoute la barbe de Chris pousser et notre rythme cardiaque s'est ralenti au fur et a mesure que nous descendions vers le Sud.
Apres une boucle vers Luang Prabang, l'ancienne capitale du Royaume du Million d'Elephants, nous nous sommes rendus a Savannakhet, d'ou nous avons entrepris un memorable trek de plusieurs jours au pays des Katangs (que nous vous conterons dans une lettre a part, vu la densite de l'experience!). Ensuite, nos pas nous ont menes jusqu'a Pakse, camp de base pour diverses excursions vers Kiet Ngong, ou les elephants sont encore associes au travail quotidien, puis vers Wat Phu Champassak, mysterieux temple pre-angkorien, et vers les 4000 iles au beau milieu du Mekong, a la frontiere lao-cambodgienne.

Demi-lune a Luang Prabang:
De Luang Prabang, avec ses cabanes de bois sur pilotis et ses maisons aux arcades et aux balcons coloniaux, perdues dans une vegetation de bananiers et de bougainvilliers, se degage une paisible atmosphere de serenite intemporelle. Les ruelles etroites ou jouent les enfants, le marche, les echoppes, le peu de voitures: tout ici temoigne de la nonchalance tranquille du Laos. De nombreux wats (temples bouddhistes) parsement l'ancienne capitale bordee par le Mekong. Batis et decores tout en finesse, ils semblent tendre vers le ciel, vers le Nirvana atteint par les Bouddhas qu'ils abritent et dont le sourire est si communicatif.
Comme partout au Laos, la vie des moines, omnipresents, est ici etroitement liee a celle des habitants - il faut savoir que tout Lao est sense porter l'habit orange au moins quelques mois durant sa vie de jeune homme. Ainsi, tous les matins, a l'aube, les bonzes parcourent la ville en procession, en quete de nourriture. Quelques locaux s'agenouillent alors le long de la rue et leur presentent du riz. Cette bonne action leur assure une vie un peu meilleure apres leur mort.
Or, une apres-midi, nous passons devant un temple, lorsque deux jeunes moines, armes d'un enorme tambour et de cymballes, entament une sourde melopee au rythme soutenu, resonnant par dela les venelles. Intrigues, nous nous renseignons aupres d'un passant, qui nous explique que nous sommes jour de demi-lune et que, comme chaque fois a cette occasion (ainsi que pour la pleine lune), a 16 heures precises, les moines invitent la population a celebrer la lune. Ce jour-la, a l'aube, ce ne sont pas quelques fideles, mais la population toute entiere qui se leve avant le soleil pour leur offrir un peu mieux que l'ordinaire... du riz avec du sucre.
Ayant appris cela, Chris, curieux de verifier ce mythe, n'hesite pas a se lever a 5:15 le lendemain et a attendre de pied ferme des moines qui se manifesteront quasi deux heures plus tard (c'est ce qui s'appelle etre victime de la malinformation). Tout se passe tres rapidement, les ombres oranges sortent sans prevenir de la penombre d'une ruelle et avancent d'un pas decide, sans emotions, vers les fideles. Moment bref et insaisissable, moment precieux...

A la recherche des elephants perdus:
Ayant oui dire que le village de Kiet Ngong, a environ 60 km au sud-est de Pakse, abrite encore quelques elephants domestiques, nous decidons d'aller voir de plus pres ces animaux legendaires qui ont donne au Laos le surnom de "Pays du Million d'Elephants". Ce village se situe en bordure d'une reserve naturelle et aucun transport en commun ne s'y rend. Alleches par l'aventure, nous ne tardons pas a louer une mobilette. Bientot, un vent de liberte souffle sur nos visages (et nous balance pas mal de poussieres dans les yeux par ailleurs).
Nous empruntons d'abord une route macadamisee, bordee de villages et de gens charmants avec lesquels nous echangeons signes de la main et sonores "Sabaiiidii" emportes par la vitesse (tout de suite 60 km/h...). La route est relativement recente mais pas pour autant exempte d'obstacles: ici, personne ne dispose d'un permis de conduire et chacun ignore parfaitement tout code de la route. Les animaux sont aussi de la partie: quand ce ne sont pas de lourds buffles d'eau qui font inopinement irruption sur la route, ce sont les chiens, les poulets ou les canards dandinant qu'il nous faut eviter.
Les choses se corsent lorsque nous quittons la nationale pour emprunter la poussiereuse piste de laterite qui nous mene vers le village. Couverte de petits graviers rouges, elle s'avere traitresse, comme nous l'apprend un brusque coup de frein et un joli derapage plus ou moins incontrole. Prudence donc.
Peu a peu, nous approchons du village lorsque, presque sorti de nulle part, un enorme elephant s'avance sur la piste en sens inverse. Nous nous arretons, meduses, pour le voir passer. Nous sommes litteralement bouches-bees. Lourd, lent, seculaire, majestueux mais aussi menacant de par son grognement qui fait vibrer nos tripes, il nous domine. Un maigre cornac a barbiche blanche et au large sourire edente est perche sur son cou; les pieds derriere les oreilles, il le dirige a l'aide de petits coups secs et precis des mollets et des talons. L'elephant quitte alors la piste, pour deplacer de massifs blocs de roche au moyen de sa trompe et de ses pieds, avec une intelligence surprenante. Nous ne pouvons detacher notre regard de ce crane gigantesque et bossele, d'ou nous fixent de petits yeux noirs, d'un air presque craintif . La fascination nous envahit face a ce principe de domestication, ou un animal de cette force est mis au travail par un petit homme maigrichon, alors qu'il pourrait facilement l'ecraser comme un vulgaire moustique...
Plus tard, dans le village, a la recherche d'un endroit ou dormir, nous rencontrons par hasard Massimo et Ohn. Dans ce bled perdu, ou il est rare de rencontrer des touristes, Massimo, italien, ne passe pas inapercu. Son epouse est Lao et parle italien couramment elle aussi. Apres a peine quelques mots, le courant passe tres vite entre nous. Ils nous expliquent qu'ils sont en train de monter un projet d'ecolodge a la lisiere du village. A notre surprise, ils nous proposent assez rapidement de loger chez eux, au lodge, pour un "prezzo politico" vu les travaux en cours. Ravis, nous leur emboitons le pas.
L'ecolodge est un petit bijou. Dans un cadre propice a l'observation des animaux, Massimo et Ohn ont erige une serie de superbes bungalows en bois, dont la perfection temoigne d'un certain standing. Nous sommes assez emballes par le projet.
Le soir tombe et nos amis nous annoncent qu'ils vont partir pour un village voisin, ou se fetent les 30 ans du Pathet Lao (le Parti Communiste Lao, au pouvoir depuis la fin de la guerre du Vietnam), justement ce soir. Pour eux, il s'agit avant tout de se montrer et de faire du relationnel avec les autorites locales. Ils nous demandent si nous sommes interesses et nous sautons sur l'occasion.
La fete ressemble a une grande fete foraine, sans les attractions: une grande plaine remplie de gens venus de tous les villages environnants pour s'amuser. Trois grandes scenes, arborant la banniere rouge "faucille et marteau" ainsi que le drapeau Lao, se partagent l'attention des badeaux. Sur la premiere, un chanteur traditionnel et des danseuses en costume a paillettes, interpretent des chants et des danses locales. Ohn, amusee, nous traduit les paroles d'une de ces chansons: elle raconte l'amour impossible d'une jeune Lao pour un falang (etranger) aux cheveux blonds. Ohn se marre parce que Chris, qui correspond au personnage, depasse tout le monde de deux tetes et est devisages par tous... Sur une autre scene, une groupe de pop-rock lao fait danser les jeunes et les moins jeunes, qui se dehanchent et pietinnent la poussiere, qui s'eleve au-dessus de leurs tetes.
Apres avoir devalise une echoppe de sculptures en bois et avoir ete remercie a plusieurs reprises, avec effusion et godets de lao lao (alcool fort local), Massimo rencontre un responsable de la police du district, qui invite tutti quanti a manger chez lui, a deux pas de la. Il habite une grande maison en bois sur pilotis, typiquement lao, ou logent un nombre incroyable de personnes. Nous sommes desormais accoutumes a nous assoir par terre, le long d'une interminable enfilade de petits bols fumants. Les paniers contenant le riz collant et le lao lao sont bien sur au rendez-vous.
Apres le diner, nous retournons a la fete, ou toute notre petite troupe, maintenant gonflee de la famille du policier, s'installe en bordure de la piste de danse pour boire un verre et saluer les amis. C'est l'occasion de discuter un peu avec Massimo, qui nous parle du lodge, du Laos et de ses habitants.
Ainsi, il nous explique que son projet tente de s'integrer au maximum a son environnement, en engageant des gens du village pour la construction du lodge, par exemple. Cependant, dit Massimo, ce n'est pas evident de travailler avec eux, car ils n'ont aucune notion d'entreprise, de projet ou de long terme. Vivant au jour le jour, il n'est donc pas rare que les ouvriers ne viennent pas travailler, simplement parce qu'ils n'en ont pas envie. D'ailleurs, Massimo nous predit que ses ouvriers ne viendront pas au lodge le lendemain de la fete, alors qu'ils lui assurent le contraire... ce qui se confirmera effectivement par la suite. Eh oui, c'est ici que la mentalite du "lacher prise", chere aux Laos, et qui nous seduit tellement, pose quelques petits problemes. Massimo nous expose aussi la defiance toute lao face aux activites intellectuelles, en tout cas dans les campagnes, ou l'on a pitie des gens qui "pensent trop". Effectivement, "lacher prise" et "prise de tete" ne font pas bon menage!
Vers minuit, nous reprenons la direction du village, a l'arriere du pick-up, plus charge que jamais de personnes et d'objets ramenes de la fete. Dans la pale clarte lunaire, une statue de femme a genoux, les mains jointes en signe de salut, semble etre l'une des notres, presque dotee d'une vie propre.
Le lendemain, nous sommes reveilles par les premieres lueurs du jour et un soleil rouge se leve peu a peu au-dessus des brumes rosees du petit matin. Une cinquantaine de buffles d'eau paissent dans les marecages, une multitude d'aigrettes blanches perchees sur leurs dos. Dans le lointain, un elephant expose quelques instant sa silhouette massive a notre regard emerveille par la vie de l'aube.
Apres avoir pris conge de Massimo et Ohn, nous partons pour une ballade de quelques heures a dos d'elephant, jusqu'au sommet du mont Phu Asa, ou l'on peut encore observer un etrange site encadre de monticules de pierres, au beau milieu de la jungle. Perches dans une nacelle d'osier, nous pouvons palper a loisir cette peau grise, epaisse et souple a la fois, parsemee de poils noirs et drus. Nous voici berces au rythme de la majestueuse nonchalance elephantesque. Mythique!
Sur le chemin du retour vers Pakse, nous faisons un detour vers le temple de Wat Phu Champassak. Pour le rejoindre, il nous faut traverser le Mekong, qui atteint a cet endroit une largeur impressionnante. Nous embarquons donc sur le bac prevu a cet effet: un plancher sommaire depose en travers de trois pirogues. Voila qui evoque irresistiblement le Radeau de la Meduse! N'ecoutant que notre courage, nous poussons notre mobilette sur ce frele esquif, qui supporte deja le poid de deux 4x4 et d'un minibus.
Le charme, voire la magie, de Wat Phu Champassak reside dans ses escaliers pris en otages par la vegetation, ces amas de pierres taillees qui gondolent au fil des siecles, ces frangipaniers majestueux, dont les racines soulevent les marches menant au temple et rendent ainsi cette ascension presque hallucinatoire.
Au retour vers Pakse, apres la traversee du Mekong en sens inverse, la nuit tombe soudain, pour nous reveler la deficience totale de nos phares. Sacrebleu! Et comme notre klaxon est lui aussi completement asthmatique, nous nous inquietons quelque peu des conditions de notre retour: il nous reste environ trente kilometres de route, sans aucune forme d'eclairage et, au vu de la course d'obstacle que represente un tel trajet de jour, cela risque de ne pas etre "piece of cake"... Apres avoir evite de justesse un chien et deux buffles dans une obscurite presque complete ( la lune nous boude ce soir) - et, du coup, avoir pris quelques poils gris dans la barbe - , nous emboitons la roue a un velomoteur qui nous depasse, bien decides a ne pas le lacher d'un pneu et a profiter de son phare. Le trajet est epique, crispant, glacial, epuisant, mais nous arrivons finalement a Pakse, dans un etat second, les nerfs a vif, remerciant notre bonne etoile et jurant, mais un peu tard, que l'on ne nous y reprendrait plus!!!

Rock around the Christmas Tree:
A quoi peut bien ressembler un Noel dans une contree ou le mot meme n'a pas de signification pour la grande majorite des gens, vous direz-nous. En prime time, nous vous devoilons donc les quelques ingredients de la fete de Noel que nous avons vecue, a des milliers de kilometres de la Belgique, de l'Ecosse et des Etats-Unis mais tellement proches en pensees de nos familles.
Tout d'abord, nous sommes chanceux puisque nous denichons une petite eglise catholique a Pakse, vestige de la periode indochinoise. Dans un style franco-colonial, tres simple, entouree de palmiers, elle est, ce soir-la, toute illuminee de lampions, guirlandes et bougies. Toute la petite communaute chretienne des environs s'y rassemble afin de feter la naissance du petit Jesus. Nous nous joignons donc a eux pour une messe tres bon-enfant avec ses chants joyeux, parmi lesquels nous reconnaissons le "Douce Nuit", en Lao bien sur.
De retour a l'hotel, tenu par un Francais, un buffet de Noel nous attend, ou la dinde trone a cote des nems, du poulet satay et du riz cantonnais. Les chanteurs laos chauffent l'ambiance et invitent bientot les convives a se lever pour danser autour du sapin! Tant qu'a faire, nous enthousiasmons la salle avec un petit rock endiable...;-)
En fait, tout ca est un peu decale, pas vraiment anachronique (puisque nous sommes a la bonne date!), mais "anageographique"... Peu importe, le desir de se rejouir est la et nous profitons pleinement de cette soiree etrange mais franchement drole, sympa, rejouissante. Nous nous souviendrons de ce Noel presque extraterrestre au Laos.

Il y aurait encore beaucoup a dire sur le Laos, mais le temps nous manque cruellement! Cap sur le Cambodge, avec Douglas qui nous rejoint pour deux semaines de...fooolie!

Entamez bien l'annee 2006.
Take care!

Marianne et Chris

mercredi, décembre 28, 2005

Hekou - Lao Cai - Bac Ha - Hanoi - Halong - Tam Coc - Hanoi

Gooood Morning Vietnaaam!

En quatre mois en Chine, nous nous etions constitue un bon petit kit de survie, compose d'un petit vocabulaire bien huile et de reflexes culturels hautement entraines. L'arrivee au Vietnam est d'abord une totale remise a zero: a peine passe la frontiere a Lao Cai, nous sommes d'emblee mis en difficulte devant un menu vietnamien et presque incapables de commander autre chose que du riz blanc! Heureusement pour nous, l'anglais est maitrise par un plus grand nombre de personnes qu'en Chine et, au final, le Vietnam s'avere plus confortable que prevu. L'infrastructure touristique est en fait beaucoup plus developpee ici et nous decidons d'en abuser, vu la courte duree de notre sejour.
Voici maintenant quelques breves relatant cette traversee du Nord du Vietnam.

Flower Power:
Le dimanche est jour de marche dans la petite bourgade de Bac Ha, a quelques dizaines de kilometres de la frontiere sino-vietnamienne. Etant dans les parages, nous decidons de nous y rendre afin de prendre le poul de cette region montagneuse. Rapidement, nous nous retrouvons au beau milieu d'un marche haut en couleurs. Outre les viandes et legumes habituels, nous y decouvrons, entre autres, du tabac, vendu par kilos entiers, des buffles d'eau, des porcs, ficeles comme des gigots, ou de jeunes chiots, futurs chiens de combat qui, pour l'instant, freinent des quattre pattes, terrorises. Une quantite non negligeable de produits artisanaux s'etale aussi sous nos yeux: c'est un chatoiement de cotons, de broderies, de foulards, de tissus et d'extravagantes boucles d'oreille. Ce sont toutefois les costumes des H'mongs Fleuris qui nous etourdissent veritablement. Descendus des villages environnants, ces "montagnards", commes les appellaient les Francais de l'Indochine, deferlent en masse. Les femmes, surtout, sont stupefiantes: petites, elles portent les costumes les plus colores que nous ayons vu jusqu'a ce jour. Un foulard epais sur les cheveux, de style "tartan", soit vert pomme, soit fuschia, soit bleu turquoise, le cou et les epaules recouverts d'une sorte de bavette brodee de mille lignes colorees, ainsi que de motifs a fleurs ou geometriques. Les memes dessins sont repris sur les avant-bras, de meme que sur une ample jupe plissee, qui s'arrete aux genoux. Enfin, des jambieres du meme tonneau s'enroulent autour des mollets. Un tourbillon de motifs et de couleurs, qui nous brouille presque la vue et nous oblige a nous raccrocher a leurs sourires.

Hanoi, la foisonnante:
Notre premiere sortie dans Hanoi nous emporte dans un monde a part. La circulation, tout d'abord, nous apparait comme folle: un flot de mobilettes klaxonnantes se faufile entre les pauvres pietons qui tentent en vain de traverser - meme Moise en perdrait son hebreu. Des gens partout, une agitation de ruche industrieuse, un bruit de fond permanent. Hanoi est grisante, rejouissante, affolante. Une sorte de joyeuse frenesie, enthousiaste, regne ici. Par contraste, des groupes d'habitants sont assis sur le seuil de leurs maisons ou de leurs commerces, devisant autour d'un wok ou d'une friture, paisibles, a peine perturbes par le chaos environnant. Les rues, surbondees, sont poussiereuses, asymetriques, bordees de facades qui se reclament autant de la tradition vietnamienne que de l'architecture coloniale francaise (persiennes, balcons, arches, colonnes...). Un charme certain. Et puis, partout, ces silhouettes qui font la signature du Vietnam: un chapeau conique, une ample chemise claire, un large pantalon noir, et une perche sur l'epaule, aux extremites de laquelle, en equilibre, se balancent deux plateaux d'osier, lourdement charges de denrees locales.
Un soir, nous sommes litteralement emportes dans une maree humaine delirante, un deluge de drapeaux vietnamien, l'etoile jaune sur fond rouge. Dans la liesse generale, la circulation est completement immobilisee. Que se passe-t-il donc? Nous comprenons rapidement que l'equipe de football vietnamienne vient de gagner contre la Malaysie. Les rejouissances dureront toute la nuit! Ici, plus que partout ailleurs, le football est roi.
Last but not least, un matin, nous retrouvons avec emotion un cafe-croissant "comme a la maison", sequelle sympathique du colonialisme francais.

Mysterieuse Halong:
Que c'est beau. Au ras de l'eau, nous penetrons dans la baie, ou s'elevent ces improbables geants de pierres et de roches. Comment rendre l'impression de petitesse, de stupeur et d'admiration ressentie au coeur d'un tel site? La baie fouette l'imagination, elle emballe, elle reveille tous les pirates de l'enfance, en meme temps qu'elle impose le silence et appelle a la contemplation pure et simple, medusee, charmee. Nous sommes heureux d'avoir vu cet endroit hors du commun, d'ou se degage une fascination tranquille, amicale, certaine. Il est possible de voir la baie d'Halong sur d'innombrables cliches, sans etre jamais prepare a sa decouverte.
Ces moments magiques sont dignes d'etre celebres et, le soir, Fritz, un Allemand qui partage notre jonque pour la nuit, nous propose genereusement un Cohiba, dont les volutes s'elevent doucement le long des pains de sucre, vers le firmament.

Un tour du monde virtuel:
Meme si nous ne voyageons qu'en Asie, notre periple prend des allures de tour du monde, grace aux multiples rencontres effectuees en chemin. En effet, les backpackers que nous croisons nous offrent non seulement leur amitie, mais aussi une fenetre ouverte sur leurs mondes a eux. Passionnant! Un tout grand merci a vous tous et bon vent sur vos routes respectives!

Le Vietnam est decidement une destination riche et complexe, qui nous a d'ores et deja donne envie d'y revenir et de lui consacrer plus de temps.

L'heure tourne, et de plus en plus vite, semble-t-il. Nous reendossons donc nos sacs, pour prendre la direction du Laos, le pays ou, parait-il, l'on ecoute le riz pousser... Coooool (Marianne contente!).

Joyeux Noel et une excellente annee 2006 a tous!

Marianne et Chris

jeudi, décembre 08, 2005

Kunming - Jinghong - Xiding - Zhanglan - Manwa - Bada - Daluo - Jinghong - Kunming - Hekou

Biu g'no!

Avant de quitter definitivement la Chine, nous n'avons pas resiste a la tentation de faire un tour au Xishuangbanna, une region frontaliere au sud du Yunnan, entouree du Myanmar, du Laos et du Vietnam. Cette zone du Sud-Est asiatique est habitee par une cinquantaine de minorites ethniques et, rien qu'au "Banna", on en compte une douzaine.
L'ethnie majoritaire est celle des Dais, de la famille des Thais (a ne pas confondre avec les Bais, les Tays ou les Thays!). Le dai fut longtemps utilise par les minorites du Banna pour se comprendre entre elles. Actuellement, le chinois, en tant que langue officielle enseignee dans les ecoles, a repris cette fonction essentielle de langue unificatrice. Apparemment, ce changement recent pose certains problemes, puisque, entre differents villages, les jeunes gens ne parlent plus necessairement la langue des grands-peres, qui, eux, n'ont pas appris le chinois.
Suite a la rencontre d'Ainipa, un guide appartenant a l'ethnie Bulang, nous avons decide de consacrer quatre jours a la decouverte de sa minorite vivant dans les montagnes, de part et d'autre de la frontiere sino-birmane.

Au pays des Bulangs

Ainipa nous propose de faire une randonnee de quatre jours pour rejoindre les differents villages isoles de la region, car ils ne sont, pour la plupart, accessibles qu'a pieds. Se joint aussi a notre expedition Dong Li, jeune guide en formation, qui, elle, appartient a l'ethnie Hani, presente elle aussi dans les environs. Nous avons tout de suite un excellent contact avec Ainipa et Dong Li, qui s'averent extremement sympathiques et joviaux!
Depuis que nous avons traverse le Tropic du Cancer entre Kunming et le Banna, la vegetation presente un visage nouveau, de la foret sub-tropicale aeree a la jungle tropicale humide. Durant le trek, nous nous plongeons dans un environnement parfois digne de "La Vallee des Bannis" de nos amis Spirou et Fantasio, tantot avec plaisir et curiosite, tantot avec crainte et fascination. Ici, la loi du plus fort prevaut meme pour la vegetation, qui peut s'averer franchement hostile. Regle numero un: ne jamais toucher une plante a laquelle vous n'avez pas ete presente! Le bambou geant,
par exemple, recele un poil a gratter particulierement irritant. Certains arbres sont couverts de micro-epines, invisibles pour l'oeil non excerce, mais qui gacheraient la journee de n'importe quel randonneur inaverti. D'autres affichent ouvertement des epines grosses comme le petit doigt. Enfin, la reputation du Ficus Etrangleur n'est plus a faire: ce veritable "killer tree" etouffe progressivement sa victime vegetale pour s'en repaitre.
Dans cette flore luxuriante, les araignees sont omnipresentes: a longueur de journee, nous nous faufilons parmi leurs innombrables toiles, gigantesques. Un exercice particulierement eprouvant pour les nerfs, il faut l'avouer. Chris reste souvent fascine par ces extraordinaires creatures, dont l'abdomen, gros comme le pouce, est generalement noir a pois rouges ou tigre de jaune. Ainipa tente de nous rassurer en nous expliquant qu'elles ne sont pas dangereuses et que, d'ailleurs, les Bulangs s'en regalent souvent en friture. Du coup, nous apprehendons quelque peu le repas du soir... Dans la jungle, les sangsues sont aussi a l'honneur, pour le plus grand degout de Marianne, qui ne peut detacher son regard de ses pieds, malgre les appels de Chris a admirer les beautes de l'enfer vert (Chris, enthousiaste: "Waaow, regarde ces lianes, tu as vu ces lianes?" ou bien: "... Incroyable! Un Bernard l'hermite dans la riviere!" - Marianne, un peu crispee: " Oui-oui, oui-oui. Tu viens?!"). Les moustiques, bien sur, sont toujours au rendez-vous, mais les serpents, pour une fois, se montrent discrets (dommage, parce que, chez les Bulangs, croiser l'un d'eux porte bonheur). La randonnee nous permet toutefois de contempler aussi de nombreuses merveilles: orchidees sauvages, oiseaux rouges vifs, jaunes ou
verts, mantes religieuses, phasmes baton, enormes scarabees, coleopteres rouges ou jaunes, splendides papillons, de toutes couleurs et de toutes tailles... ainsi que leurs chenilles.
A l'approche des villages, le paysage s'eclaircit et les cultures en terrasses remplacent la foret, comme autant d'escaliers vers le ciel, tailles dans la montagne. Les Bulangs y cultivent principalement du the, vert ou noir, du riz, ainsi que du mais, de la canne a sucre et du soja.
Le premier jour, non loin de l'un de ces villages, nous croisons un jeune moine bulang, avec qui Ainipa tente d'echanger quelques mots, non sans difficultes. Au vu de notre etonnement, il nous explique alors que, malgre l'appartenance a une meme ethnie, chaque village possede son propre dialecte, ce qui rend la communication particulierement ardue, meme entre proches voisins. Par exemple, "bonjour" se dit "biu ma" dans le premier village ou nous avons dormi, "biu ga an" dans celui d'Ainipa et "biu g'no" dans le dernier village traverse (a repeter lors d'un diner pour faire impression sur ses voisins ;-) ). En outre, le bulang n'est pas une langue ecrite, ce qui ne facilite pas son homogeneite (le dai est encore l'ecriture
de rigueur pour les textes religieux).
Si la communication orale n'est pas toujours des plus aisees, les Bulangs partagent en revanche un "langage des plantes" qui leur permet d'exprimer un certain nombre de sentiments ou d'idees plus ou moins complexes. Ainsi, laisser une orchidee (c'est-a-dire la plus belle fleur a leurs yeux) sur le pas de la porte d'une jeune fille signifie qu'on lui porte un tendre sentiment. Dans le cas ou la demoiselle accepte de parler a son soupirant, elle doit accrocher la fleur a son oreille le lendemain. Cependant, lui offrir une fleur de rododhendron lui signifiera qu'elle est trop vieille (pour le mariage, en l'occurrence). Laisser sur le chemin de quelqu'un une branche de telle fougere dont les feuilles sont particulierement etroites lui signifie "tu as un petit esprit!". Tel petit arbre chetif, qui ne grandit pas beaucoup, est synonyme de paresse; alors que telle autre plante aux multiples ramifications avertit le jeune homme qu' "elle en aime un autre" (c'est-a-dire qu'elle suit d'autres voies). Les exemples abondent... Passionnant!
Toutes les deux ou trois heures de marches, nous trouvons sur notre chemin de jolis abris destines a accueillir le voyageur harasse. Ce sont les fruits d'initiatives individuelles, car cette bonne action permettra a celui qui s'en acquitte d'obtenir un meilleur statut ou plus de chance dans une prochaine vie. De meme, aux abords des villages, certains erigent des abris miniatures afin que le dieu de passage puisse s'y reposer et, s'il s'y trouve bien, rester un peu, ce qui assurerait protection au village et a ses habitants. Ces pratiques refletent la parfaite integration des croyances animistes au Bouddhisme dans ces regions. Il s'agit ici du Bouddhisme
Theravada, c'est-a-dire du Petit Vehicule (ou de la Petite Charette, comme dirait Marianne ;-) ), contrairement a celui que nous avons appris a connaitre en Mongolie et en Chine (Mahayana ou Grand Vehicule). Quelques temples et pagodes parsement la region, avec leurs toits caracteristiques, tendus vers le ciel comme autant de degres (ou de vies successives) vers le Nirvana.
Le premier soir, le village ou nous allons loger nous apparait tout a coup, au detour du sentier. A flanc de colline, au beau milieu de la foret, les maisons se pressent les unes contre les autres, perchees sur de hauts pilotis. De la ou nous sommes, leurs beaux toits de tuile ou de chaume, decores d'orchidees et solidement charpentes, nous evoquent presque une colonie de triceratops paissant dans les brumes du soir - les gros pour les maisons et les petits pour les greniers a riz.
Nous nous faufilons entre les pilotis jusqu'a la maison de nos hotes. Dans chaque habitation, le "rez-de-chaussee" est ouvert a tous les vents et sert d'abri, la nuit, pour les porcs, les buffles d'eau et les poulets. Nous gravissons un solide escalier de bois qui mene a l'etage. Nous laissons nos chaussures a l'entree, comme le veut la coutume: ici, tout le monde se promene pieds nus, malgre des temperatures parfois fraiches le soir. L'etage se compose d'une seule et grande piece carree, toute en bois, au centre de laquelle reside le foyer: quelques buches et un trepied destine a supporter le wok familial. La piece est fort sombre, car, a notre etonnement, elle ne comporte aucune fenetre. Peu a peu, lorsque nos yeux se sont accoutumes a cette nouvelle ambiance, nous distinguons le reste du mobilier, qui se resume a deux commodes, deux petits bancs sommaires en bois et quelques ustensiles de cuisine. La suie recouvre tout le plafond: il n'y a pas de cheminee a proprement parler, mais seulement quelques rares ouvertures dans le toit. La lumiere emane donc d'une ouverture sur une terrasse adjacente, une plateforme de bambous instable, a ciel ouvert, qui fait office de "salle de bain": on y fait sa toilette (mais enroule dans un sarong, puisque tous les voisins ont vue sur la terrasse) a l'aide d'une bassine et d'une arrivee d'eau. C'est aussi l'endroit pour faire une vaisselle, etendre le linge ou papoter avec la voisine par dessus la rembarde de bambou. L'ensemble est veritablement spartiate.
Nos hotes sont a la fois adorables et fascinants: un couple age et leur fille, pas encore mariee. Lui, edente, maigre comme un coucou, le cuir tanne par le soleil, nous sourit de toutes ses gencives et des quelques rares chicots noirs qui lui restent. Il nous regarde avec bienveillance et, lorsqu'il parle, c'est d'une voix grave et posee, un peu granuleuse. Son epouse est un peu plus ronde. Elle rit souvent, comme dans un eclat irresistible. Elle se colore les dents en noir et porte un turban de la meme couleur, qui signale son age respectable. Ses oreilles sont deformees par de lourdes boucles d'oreille et presentent un trou d'au moins un centimetre de diametre. Ses lobes sont fascinants. Elle et sa fille revetent le costume traditionnel des Bulangs, comme toutes les autres femmes croisees dans le village: une jupe droite et un cache-coeur, tous deux noirs, bordes de galons colores, brodes avec une finesse remarquable. Ces costumes sont entierement realises par leurs soins, depuis le tissage des fibres de chanvre, jusqu'aux broderies, en passant par la teinture des tissus (cendre de bambous pour le noir et indigotier pour le bleu).
Le maitre de maison semble etre un sage du village: il maitrise l'ecriture dai et les villageois viennent le consulter pour connaitre les dates propices a l'achat de porcs, de poulets... mais aussi pour une celebration ou pour contrer une maladie. Dans ce dernier cas, tout le monde se rassemble, on sacrifie deux poulets, on ajoute quelques grains de riz sur la table, ainsi que de l'argent, puis un moine, qui assiste a la ceremonie, prononce des voeux de bonne chance et invoque le dieu de la maison pour la protection de ses occupants (autre exemple de l'integration de l'animisme au bouddhisme).
Le soir, quand la nuit tombe, ils allument des bougies et l'on se rassemble autour du feu pour rire et papoter. Ils posent des questions sur la vie des fermiers chez nous. Ils semblent incredules quand nous leur expliquons la specialisation en secteurs de production, alors que, eux, doivent couvrir tous leurs besoins. La conversation porte sur leurs activites agricoles, puis ils nous expliquent comment se repartissent les roles dans la famille: les taches agricoles sont generalement partagees dans le couple. Pour ce qui est de la maison, la femme s'occupe principalement de la cuisine et du menage au quotidien. L'homme, quant a lui, est charge de recevoir les invites et de faire la conversation. Il cuisine toutefois les jours de fete et pour des hotes de marque.
Ainipa et Dong Li nous preparent un succulent diner, au moyen d'un seul wok. Porc et navets, porc et oignons, porc et pommes de terres, petites boules vertes et ameres, ramassees en route et, bien sur, le riz: autant de petits bols fumant sur la table en osier, autour de laquelle nous nous rassemblons pour partager le repas. Ils s'emerveillent de ce que nous mangeons sans faire de bruit (merci Mamaaan!)...
La nuit, serres les uns contre les autres sur une large paillasse, nous entendons distinctement - et non sans une certaine apprehension - les rats courir sur le plancher. S'ajoutent les grognements de porcs qui s'activent juste en dessous de nous. Plus tard, Chris se reveille en sursaut, les orteils mordilles par un rat temeraire. Dong Li nous racontera plus tard que l'un d'eux s'est meme emmele dans ses longs cheveux!
Le lendemain matin, ce sont tous les coqs du village qui nous reveillent dans un concert assourdissant (dont certains n'ont apparemment pas compris qu'ils etaient censes chanter au lever du soleil et pas deux heures avant!).
<< Attention, la sequence suivante est deconseillee aux ames sensibles >>
Dans la foulee et encore un peu groggy, Chris se leve et s'ecarte du village, pour s'enfoncer dans les brumes matinales. En effet, les Bulangs ne disposent pas de toilettes chez eux et sont plus inspires par la foret que par la feuillee. La promenade dans cet environnement enchanteur s'avere plutot agreable. La solitude et le calme de l'aube s'annoncent propices. Cependant, apres quelques pas dans la foret, Chris a la ferme impression d'etre suivi par quelqu'un. Il se retourne donc, pour s'apercevoir qu'un enorme porc, au poil dru et noir, le fixe de son groin obstine. A cette vue, soulage, il poursuit son chemin a la recherche de l'endroit ideal. Pourtant, il lui faut bientot se rendre a l'evidence: l'animal le suit a la trace. Ne se laissant pas demonter pour si peu, Chris choisit de passer a l'offensive et de le pourchasser a coups de cailloux. Enfin un peu de repis. Lorsque Chris se releve, devinez qui est revenu aux premieres loges... C'est bien lui, c'est bien son air placide, ses petits yeux bigleux et son groin expressif. Il suffit alors que Chris s'ecarte de quelques pas pour que l'animal engloutisse gouluement le fruit de ses efforts. Beeerk! Tout s'eclaire: la poursuite etait bel et bien premeditee et voici pourquoi les sous-bois environnants sont si propres! Bref, la chaine alimentaire dans toute sa splendeur, qui, generalement, fascine, mais qui, aujourd'hui, degoute!
Durant cette seconde journee de marche, nous profitons des haltes pour discuter avec Ainipa et Dong Li des moeurs et coutumes bulangs, mais aussi des nouveaux doutes et questionnements des jeunes originaires de ces villages: beaucoup d'entre eux ne veulent plus travailler a la campagne, ou les conditions de vie sont particulierement rudes et dependantes du climat. La ville attire par son confort, mais aussi par la variete de son offre au quotidien. Les villages se vident donc progressivement de leurs jeunes, qui preferent tenter leur chance en ville - ou ils vivent de toute facon des les secondaires, puisque ce type d'enseignement ne se trouve pas dans les campagnes. Par ailleurs, nombre de jeunes Bulangs passent clandestinement en Thailande, qui offre de nombreuses opportunites d'emploi et des salaires plus eleves. Rares sont ceux qui reviennent un jour au village. Ainipa, lui, voudrait devenir guide-chauffeur, alors que Dong Li voudrait ouvrir un restaurant ou une guesthouse dans une grande ville comme Shanghai ou Beijing.
Le soir meme, nous sommes accueillis a bras ouverts dans la famille d'Ainipa. Son retour est comme une fete, et nombreux sont les voisins qui passent ce soir-la pour le voir, ainsi que les nouveaux venus. Deux jeunes moines, des meres avec leurs petits (Ainipa a ramene des vetements de la ville pour les petites filles), mais surtout, ce sont les grand-meres, toutes en costume bulang, qui se relayent au coin du feu pour nous pincer les joues. Pour l'une d'entre elles, nous sommes ses premiers "laowais" (etrangers blancs). C'est quelque chose, tout de meme...
La grand-mere maternelle d'Ainipa s'eprend de nous parce qu'elle a l'impression que nous nous aimons beaucoup (quelle drole d'idee! ;-)) - ce qui est plus rare chez eux, puisque la majorite des mariages sont arranges. Le baiju (alcool local dont l'effet socialisant fut deja conte a propos de l'Emei Shan) et les joints aidant, elle impose a chacun de nous un massage des plus vigoureux, avant de nous prier de nous resservir au moins trois fois de chaque plat et de nous mettre au lit de force, afin que nous prenions un repos bien merite. Sacre personnage!
Le troisieme jour, une etape plus facile etait prevue au programme, mais le sort en decide autrement, puisqu'une pluie diluvienne s'abat sur nous une grande partie de la journee, transformant les etroits sentiers en ruisseaux, en profonds bourbiers ou en veritables patinoires. Les buffles d'eau, parfaitement a l'aise dans ces conditions, nous narguent de leurs sourires beats. Le jeu en vaut pourtant la chandelle, car nous arrivons bientot dans un cadre charmant. Au beau milieu d'un ecrin de verdure tropicale, se love un etang couvert de lotus en fleurs. En son centre, se trouve une petite ile, ou se dresse une fine pagode doree, entouree de buissons de fleurs rouges. La legende bulang raconte que, il y a bien longtemps, un village s'etendait a cet endroit. Un jour, les villageois pourchasserent et tuerent un daim dore. Tous participerent a la chasse, ainsi qu'au banquet qui s'en suivit, sauf une femme et sa fille. Le lendemain matin, le village avait disparu sous les eaux, inonde, a l'exception de... la maison de ces deux misericordieuses. Depuis, sur le lieu de leur habitation, se dresse la belle pagode. L'etang est, parait-il, tres poissonneux, mais, a chaque fois qu'un Bulang y peche un poisson, il doit le presenter au temple bouddhiste. Les poissons seraient-ils les anciens villageois qui avaient sacrifie le daim dore? Nous aimons l'imaginer...
Ce dernier soir, les sourires et la generosite de nos hotes nous ravissent, une fois de plus. Leur maison est ouverte a tous, en toute simplicite. Les Bulangs nous auront donne une belle lecon de disponibilite.
Le quatrieme et dernier jour, ce fabuleux trek touche a sa fin, alors que nous longeons une crete qui nous offre une vue plongeante sur le Myanmar voisin, nous laissant reveurs...

Voila, nous avons succombe a l'envie de vous raconter notre derniere aventure chinoise...

Merci a vous tous qui nous laissez des commentaires, car nous avons a nouveau acces a notre blog et c'est un vrai plaisir de vous lire!

A peluche,

Ringo et Moise